Théorie Communiste
"Théorie Communiste"
Le problème fondamental auquel toute production théorique doit se ramener, qu'elle doit affronter et chercher à résoudre est le suivant : comment le prolétariat, agissant strictement en tant que classe de ce mode de production, dans sa contradiction avec le capital à l'intérieur du mode de production capitaliste, peut-il abolir le capital, donc les classes, donc lui-même, c'est-à-dire produire le communisme?
C'est la généalogie de cette question qui nous ramène à l'héritage des Gauches et principalement de la gauche germano-hollandaise. On pourrait bien sûr remonter à Marx ou à Bakounine dans sa controverse avec le précédent, et à quelques théoriciens anarchistes. On verra plus loin pourquoi la Gauche dite italienne ne parvient pas jusqu'à la nécessité de cette question.
Le problème essentiel auquel T.C. s'est confronté depuis ses débuts en 1975 (auparavant nous faisions la revue "Intervention Communiste" -- 2 n° parus et quelques bulletins-- et pour certains, nous avions travaillé à la revue "Les cahiers du communisme de conseils", revue édité à Marseille entre 68 et 73), est celui que pose, dans une perspective qui demeure classiste, la production du communisme comme abolition du capital et donc des classes, dépassement de toutes les catégories actuelles dans lesquelles l'un et les autres se définissent : échange, valeur, Etat, particularisation de la communauté comme existence des classes, division du travail, propriété, salariat, accumulation, forces productives, cadre de l'entreprise, existence et donc gestion de l'économie. Le communisme n'est pas la gestion ouvrière de ce mode de production, la prise en charge consciente de ses contradictions, la poursuite de son programme de développement des forces productives qu'il se révélerait incapable d'assumer lui-même ; le communisme n'est pas un mode de production, il n'est pas même une société au sens d'une totalité qui serait ce dans quoi baignent les rapports que les individus définiront entre eux dans leur singularité, ne considérant rien de ce qui est comme quelque chose à reproduire. Le communisme est ce que le prolétariat trouve en lui la capacité de produire, abolissant le capital et lui-même.
Si nous nous situons dans "l'héritage" de la Gauche germano-hollandaise, il faut cependant expliquer ce qui est pour nous la dynamique de cet "héritage". Se situer dans cet "héritage" ne consiste pas à répéter une quelconque invariance des positions du K.A.P.D., de l'A.A.U.D, ou des théoriciens comme Gorter, Pannekoek ou Rühle ; ni même à effectuer un tri dans un ensemble de positions, l'important c'est le système théorique, la problématique.
La révolution allemande trouve son expression théorique la plus achevée dans la production et la pratique organisationnelle des gauches, au travers du foisonnement même des scissions et des regroupements. Les gauches expriment d'une part l'achèvement d'un long cycle de luttes antérieur (depuis 1871, et même 1848), et d'autre part l'échec de ce cycle. Cependant, de par le contenu de la lutte de classe et cela dans sa défaite même, de par la façon dont les Gauches explicitèrent ce contenu et théorisèrent sa défaite, elles ouvrent une nouvelle période , une nouvelle structuration de la lutte de classes pratiquement et théoriquement.
Le cycle de luttes qu'achève la révolution allemande de 1918-1923 est celui de la révolution et du communisme comme affirmation de la classe qui s'érige en classe dominante, instaure une période de transition, prend en charge le développement des forces productives et l'achèvement historique des contradictions du capitalisme. C'est la "société des producteurs associés" décrite par Marx dans "Le Capital", ce sont les mesures du "Manifeste communiste" de 1848 ou de la "Critique du programme de Gotha". Pour parvenir à cette "apothéose" du prolétariat, devenu classe dominante, les prémisses de la révolution, et la révolution elle-même, se lisent dans la montée en puissance de la classe à l'intérieur du mode de production capitaliste : le renforcement du parti (dont la notion et l'existence même sont liées à cette structuration de la lutte de classe), la pression syndicale, les réformes constitutionnelles et sociales, le parlementarisme. En fait, le réformisme, dans cette perspective où la révolution est affirmation de la classe, est intrinsèque au procès même de la lutte de classe. Il ne s'agit pas là d'erreurs, de déviances par rapport à l'orthodoxie. Que le prolétariat pose la révolution comme son affirmation, son érection en classe dominante, et la généralisation de sa condition à l'ensemble de la société ; que sa montée en puissance à l'intérieur même du mode production existant soit la voie royale de cette affirmation ; que celle-ci se confonde même avec le propre renforcement du capital : tout cela tient à la façon même dont se structure la contradiction entre les classes, dans cette phase historique du mode de production capitaliste que nous qualifions, reprenant la pèriodisation de Marx, de subsomption formelle du travail sous le capital.
Dans cette phase, le capital, dit rapidement, est une contrainte extérieure dont le prolétariat peut se libérer, il s'agit de libérer le travail qui peut apparaître alors comme réellement différent du travail salarié, c'est-à-dire comme le rapport du travail salarié à lui-même dans la mesure où ce dernier se pose comme pouvant être libéré. Mais par là même, c'est la révolution et le communisme qui sont impossibles, non pas parce que de toute éternité la révolution ce n'est pas cela, mais parce qu'ainsi posée pratiquement dans la lutte de classes, l'affirmation de la classe, et le procès qu'elle nécessite à l'intérieur du capitalisme, trouvent dans la reproduction du capital leur nécessité, leur existence, et leur limite intrinsèque dans le développement même du capital, forme nécessaire de cette montée en puissance de la classe et de son organisation.
En effet, à partir du moment où le passage en subsomption réelle est largement avancé (fin XIX°), l'affirmation autonome de la classe entre en contradiction avec sa montée en puissance à l'intérieur du capital, en ce que celle-ci est de plus en plus le mouvement même de la reproduction propre du capital. En même temps, cette affirmation ne peut que trouver là son fondement, la définition de ses objectifs et sa raison d'être . La crise générale de la social-démocratie, pas seulement allemande, est la manifestation politique, sociale et théorique, de cette dynamique. La révolution comme affirmation fonctionne sur une dualité de termes se développant historiquement comme une opposition entre l'affirmation autonome de la classe et sa montée en puissance dans le mode de production capitaliste. Les termes de l'opposition, qui jusqu'en 1871, pouvaient cohabiter dans le mouvement ouvrier de façon plus ou moins "amicale", ne le peuvent plus.. La révolution allemande et donc les gauches se trouvent prises au piège de cette situation : l'affirmation autonome du prolétariat affronte ce qu'il est dans le capital, ce qu'il est devenu, elle affronte la propre puissance de la classe en tant que classe du mode de production capitaliste. La révolution comme affirmation de la classe affronte sa propre négation (la contre-révolution lui est intrinsèquement liée) dans ce qui est sa raison d'être . On a parlé de "tragédie" de la révolution allemande, l'expression serait presque juste ; si elle ne sous-entendait pas une contradiction interne de la classe (les deux contraintes du héros tragique). La puissance de la classe, comme classe du mode de production capitaliste, est en fait celle du capital sous lequel est toujours subsumée cette puissance que le capital fait réellement sienne par définition, comme son propre mouvement. En période de subsomption réelle du travail sous le capital, la montée en puissance de la classe, dans laquelle le travail se pose comme essence du capital, se confond avec le développement même du capital. Elle peut alors, à partir de la première guerre mondiale, se poser en gestion du capital, elle peut devenir en tant que telle la forme aiguë de la contre-révolution. En reconnaissant l'échange, la valeur, le cadre de l'entreprise (la classe existe toujours quelque part pour le capital), l'accumulation selon les sections, la planification, comme contenu de son affirmation, l'affirmation de la classe pose la reproduction du capital comme son présupposé et, selon sa nature historiquement définie, la propre impossibilité de la révolution. La révolution russe fut le modèle de cette impossibilité, de ce processus, même s'il fallut des circonstances particulières pour que ce soit le processus d'affirmation de la classe qui s'achève lui-même en contre-révolution et développement du capital (la définition de la composition de la classe capitaliste n'a qu'un intérêt relatif).
Après la première guerre mondiale (pour situer chronologiquement la rupture), le passage du capital en subsomption réelle, à l'issue de la longue dépression de la fin du XIX°s, est largement engagé. La subsomption réelle du travail sous le capital signifie que la reproduction du prolétariat est conflictuellement intégrée dans le cycle propre du capital (plus-value relative), elle signifie que l'absorption du travail vivant par le capital devient le fait même du procès immédiat, devenu, par le développement du capital fixe, adéquat au concept de capital, elle signifie que l'échange aux prix de production anihile la spécificité du travail comme travail productif de valeur au niveau de la reproduction d'ensemble du mode de production capitaliste, elle signifie que le travail producteur de plus-value, sous sa forme relative, est totalement spécifié comme travail salarié. L'histoire du mode de production capitaliste est constamment, de façon essentielle, histoire de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Le passage du mode de production à la subsomption réelle construit ses déterminations historiques dans la période de la vague révolutionnaire de l'après première guerre mondiale, et il en portera les "stigmates" comme particularisation de la classe ouvrière et confirmation d'une identité ouvrière à l'intérieur de sa propre reproduction (cf "Problématiques de la restructuration" T.C.12).
D'une part, la révolution allemande et son expression théorique dans la Gauche germano-hollandaise, expriment d'une part la lutte contre cette intégration de la reproduction de la classe ouvrière dans le cycle propre du capital, c'est sa critique en acte de toutes les médiations de la montée en puissance de la classe à l'intérieur du mode de production comme processus même de la révolution : syndicalisme, parti de masse, front commun, parlementarisme. Certaines fractions de la Gauche en arrivent même à critiquer toutes luttes salariales comme détournant la classe de la révolution en ce qu'elles seraient une "auto-reconnaissance de la classe" dans le système. D'autre part, la Gauche fait du communisme la révélation de l'être du prolétariat comme classe productive, classe du travail, du travail coopératif à grande échelle. Plus rien ne séparerait la classe de ce qu'elle contiendrait immédiatement, en elle-même, le communisme. La forme conseil est alors la forme naturelle de son activité. Mais alors le communisme n'est plus que la gestion par le prolétariat de la production dans les catégories qui le définissent lui-même : propriété (collective, sociale, étatique...), division du travail, échange, développement des forces productives, existence d'une économie comme domaine de l'objectivation des rapports sociaux. Manifestant, on ne peut plus, son intégration, et sa définition par le capital, le prolétariat ne peut alors dans sa lutte que conflictuellement renforcer son adversaire (le capital est précisément le procès de ce conflit), et reconnaître sa nécessité.
La Gauche n'a vu l'intégration s'effectuant dans le passage à la subsomption réelle que dans les médiations de la montée en puissance de la classe, et a séparé ces médiations de la définition du prolétariat comme classe du mode de production capitaliste. Le communisme était la révélation, la libération d'un être même de la classe, telle qu'elle existe dans le mode de production capitaliste, et telle que celui-ci la définit. La Gauche italienne ne parvint pas jusqu'à ce point de rupture productif d'interrogations et de dépassements. Elle en resta à la critique des médiations non pour elles-mêmes, non en soi en tant que médiations, mais de façon formelle, elle ne comprenait les formes de ces médiations que comme formes et les critiquait ainsi (parti de masse, front unique, antifascisme...). Elle voulait les médiations (parti, syndicats, période de transition, Etat ouvrier) de la montée en puissance de la classe dans le mode de production capitaliste ou de son affirmation, sans que celles-ci expriment l'existence de la classe comme classe de ce mode production (cf les débats de "Bilan" sur le syndicalisme et même sur l'existence du prolétariat).
L'approfondissement de la subsomption réelle ne pouvait qu'être fatal aux Gauches. Il devenait de plus en plus évident, non comme découverte intellectuelle, mais comme pratique de la classe dans le mode de production, que syndicalisme, parlementarisme, adhésion à la démocratie (en ce qu'elle est le fétichisme nécessaire de cette société, alliance de classes), défense de sa condition de travailleur, organisation en parti, n'étaient pas des médiations extérieures à l'être de la classe, à ce qu'elle était, par définition, dans son implication réciproque avec le capital. Affirmer, en critiquant toutes les médiations, que l'être de la classe porte immédiatement le communisme, ne pouvait pas laisser "intact" cet être en tant que nature révolutionnaire à libérer. Il devenait évident, en critiquant ces médiations et toutes les pratiques appelées "vieux mouvement ouvrier", que l'on ne faisait que "montrer" et se heurter à l' appartenance du prolétariat au mode de production capitaliste et à sa définition dans celui-ci, tout en persistant à concevoir le communisme comme la révélation et la libération de cet être. En demeurant sur l'affirmation de cet être, on ne pouvait dépasser une vision de la révolution comme libération de la classe, en même temps que par la critique des médiations, on se supprimait toute effectuation possible de cette affirmation. On conservait en outre une perspective du communisme comme gestion ouvrière du capital.
Cependant l'histoire de la Gauche germano-hollandaise ne fait pas qu'aboutir à cette impasse, elle avait, presque contre elle-même (comme le montre la propre histoire de ses scissions dans les années 20 et 30), produit les conditions et les armes théoriques de son dépassement. Sa réflexion sur "le vieux mouvement ouvrier", son analyse de la révolution russe, et ses critiques de la politique ouvrière, amenèrent la Gauche germano-hollandaise à penser que le prolétariat fait la révolution, porte le communisme, en étant en contradiction, en détruisant tout ce qui fait son existence immédiate dans cette société et tout ce qui l'exprime. On conservait la révolution comme affirmation de l'être de la classe en critiquant toutes les formes d'existence de cet être. Toujours dans une perspective d'affirmation de la classe, les Gauches se trouvaient dans une impasse, mais sa critique de l'existence de la classe était le marche-pied pour en sortir. Il suffisait de ne plus considérer cette existence en contradiction avec son être.
Ce que "l'Ultra-gauche" (terme apparu fin des années 20, formalisant, après le triomphe de la contre-révolution, toutes les avancées des Gauches dans la vague révolutionnaire) ne put jamais dire c'est que la classe était révolutionnaire en trouvant dans sa définition de classe du mode de production capitaliste, la capacité et la nécessité de se nier en tant que classe contre le capital. Lorsqu'elle y parvint dans la crise de la fin des années 60, ce fut son chant du cygne. Ceux qui s'approchèrent le plus prés de cette vision ne purent, dans la prégnance de l'identité ouvrière, lors de cette première phase de la subsomption réelle, qu'abandonner la théorie du communisme comme théorie du prolétariat (le groupe "L'ouvrier communiste" ; certains dans "Bilan", la tendance d'Essen du K.A.P.D, retrouvant les théories des "Jungen" sur l'individu ouvrier, et tous ceux qui abandonnèrent ne "croyant plus au prolétariat"). Il fallut attendre les années 60 pour que la question soit à nouveau posée, ce fut l'apport principal de "l'Internationale Situationniste", bien que dans des termes mystificateurs. Les définitions du prolétariat et du spectacle supposent le problème résolu, car en restant au niveau de l'individu et de la marchandise, on avait bien encore l'aliénation mais pas l'implication réciproque entre le prolétariat et le capital. Finalement "Invariance" résolut le problème en jetant le bébé avec l'eau du bain : " Le point d'arrivée a déjà été indiqué : situer les limites de la théorie du prolétariat sur le plan historique, c'est-à-dire mettre en évidence comment au cours des luttes révolutionnaires de ce siècle le prolétariat n'a pas proposé une autre société, un autre mode de vie ; comment en définitive il ne revendiquait qu'une autre gestion du capital (...) S'imposa alors la nécessité de délimiter ce qu'elles (les luttes des années 20) avaient bien pu produire ainsi que celle de comprendre pourquoi le mouvement en acte de nos jours ne parvenait pas à aller au delà de ses antécédents. Il apparut qu'on ne pouvait sortir de l'impasse qu'en abandonnant la théorie du prolétariat." (Jacques Camatte, Invariance, série II n°6, p39, 1975).
Il apparaissait au fur et à mesure de l'approfondissement de la subsomption réelle, qui était la vraie contre-révolution en actes par rapport à la période du début des années 20, que les médiations de l'existence de la classe dans le mode de production capitaliste, loin d'être extérieures à cet "être"de la classe devant s'affirmer contre elles, n'étaient que celui-ci en mouvement, que celui-ci dans son implication nécessaire avec l'autre pôle de la société, le capital. L'Ultra-gauche arrivait simultanément, d'une part à la critique de toute relation entre l'existence de la classe dans le mode de production capitaliste et le communisme, et d'autre part à l'affirmation de l'adéquation du communisme et de l'être de la classe, la contradiction était provisoirement dépassée par la compréhension / limitation de l'intégration comme relevant de toutes les médiations posées entre l'être de la classe et le communisme. Pour l'Ultra-gauche il fallait combattre et supprimer toutes ces médiations. Le prolétariat devait se nier comme classe du capital (acquérir son autonomie) pour réaliser ce qu'il était vraiment et qui dépassait le capital : classe du travail et de son organisation sociale, du développement des force productives. Mais la réalité têtue imposait de voir que ce qu'il était vraiment était précisément ce qui permettait aux médiations d'exister, était dans un rapport nécessaire avec ces médiations. L'Ultra-gauche nous avait suggéré : "la révolution et le communisme ne sont pas l'affirmation de la classe telle qu'elle est dans le mode de production capitaliste", mais elle n'est pas parvenue elle-même à faire porter cette déclaration sur ce qu'elle considère comme l'être révolutionnaire du prolétariat, qu'elle pose toujours toujours séparé de son "existence" (l'Ultra-gauche fonctionnant sur cette dualité qui pouvait prendre la forme : prolétariat / classe ouvrière).
L'Ultra-gauche, dans toutes ses limites, nous avait amenés jusqu'au point théorique fondamental du communisme comme négation du prolétariat (ce qu'il faut maintenant encore définir). Ce n'est qu'après le renouveau révolutionnaire de la fin des années 60 et du début des années 70, que nous fûmes obligés de tirer théoriquement les leçons de tout ce cycle de luttes, entamé dans les années 20, et de le dépasser. L'expérience de ces années là ne pouvait plus laisser aucune illusion sur les perspectives gestionnaires comme perspectives révolutionnaires. La Gauche italienne avait déjà fait sienne cette critique, mais sans la relier, bien au contraire, à la négation de la classe par elle-même, si ce n'est de façon "clandestine" par rapport à son discours officiel (cf les doutes de Bordiga mis en exergue par Camatte dans "Bordiga et la passion du communisme", Ed Spartacus). Le cycle de luttes achevé nous laissait deux certitudes : la révolution et le communisme sont abolition du capitalisme et par là-même abolition des classes, de toutes les classes y compris le prolétariat (c'était là, la théorie communiste comme théorie de la révolution) ; la contradiction entre le prolétariat et le capital est le procès même dans lequel se produit le mode de production capitaliste, le procès même de son accumulation comme mouvement qualitatif, et celui de ses restructurations ( c'était là, la théorie communiste comme théorie de la contre-révolution). Etait par là-même éliminée la possibilité de chercher ailleurs que dans les conditions strictement capitalistes de cette contradiction, la capacité du prolétariat à produire le communisme. On se retrouvait donc impitoyablement confronté à la question posée au début de ce texte : "comment une classe agissant strictement en tant que classe, peut-elle abolir les classes ?".
Il y eut alors deux types de réponses formulées dans les conditions du début des années 70. La première consista à reprendre l'apport des gauches, sans le côté gestionnaire ("Le Mouvement Communiste" revue et livre) ou en le laissant en suspend, on ne se retrouva qu'avec un catalogue de "positions révolutionnaires" ("Bail à céder") dont "les révolutionnaires" étaient les garants (L.M.C.4). Cette démarche se poursuivit plus tard dans des revues comme "La Banquise" ou "La Guerre Sociale", mais de plus en plus soutendue par une compréhension humaniste du prolétariat, nettement présente avec "Le Brise-glace" et "Mordicus" : libération de l'activité humaine sous le travail ou sous les classes, capital comme oppression, prolétariat comme pauvre. Finalement ne pouvant plus maîtriser la contradiction entre le prolétariat et le capital comme productrice du communisme, la vision d'ensemble était celle d'une opposition entre tendance au communisme et capitalisme. Ce qui aboutit à comprendre le mouvement de la société comme l'opposition entre la vraie communauté humaine et la fausse : la démocratie (par où s'articula une dérive révisionniste, cf T.C.13).
La seconde réponse consista à parler d' autonégation du prolétariat ("Négation" ; "Intervention Communiste" "Théorie Communiste" n°1 ; "Crise Communiste"). Nous étions encore, paradoxalement, dans la problématique précédente : on posait toujours une nature révolutionnaire du prolétariat. Cette nature révolutionnaire était une contradiction interne entre son appartenance à cette société et la négation de cette société qui existerait dans le prolétariat comme "tendance" en rupture avec cette appartenance. L'autonégation ressuscita l'essence de l'homme, on était encore dans la scolastique et la téléologie : l'essence, l'existence, l'être, les tendances, les sens, les qualités ...On est alors, dans cette problématique, toujours à deux doigts d'abandonner une théorie classiste, pour basculer dans une théorie de l'humanité et / ou de l'individu ("Crise et Communisme" ; "L'unique et son ombre").
C'est à partir de là que nous avons entrepris un travail de redéfinition théorique de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Il fallait dans un premier temps redéfinir la contradiction de telle sorte qu'elle fut simultanément contradiction portant le communisme comme sa résolution, et contradiction reproductrice et dynamique du capital. Il fallait produire l'identité du prolétariat comme classe du mode de production capitaliste et classe révolutionnaire, ce qui impliquait de ne plus concevoir cette "révolutionnarité" comme une nature de la classe se modulant, disparaissant, renaissant, au grè des circonstances et des conditions.
Cette contradiction c'est l'exploitation.
1°) Elle définit les classes en présence dans un strict rapport d'implication réciproque.
2°) Comme accumulation elle pose la contradiction entre les classes immédiatement comme une histoire.
3°) Elle définit ses termes non comme des pôles ayant une nature déterminée se modifiant dans l'histoire, agissant par rapport à un mouvement extérieur de l'accumulation posée comme conditions de leur action, mais elle fait du rapport entre les termes et de son mouvement "l'essence" de ses termes..
4°) Elle est, comme contradiction entre le prolétariat et le capital, le procès de la signification historique du mode de production capitaliste ; elle définit le procès de l'accumulation du capital qualitativement comme inessentialisation du travail, comme "contradiction en procès" ; elle définit l'accumulation du capital comme sa nécrologie (cf, Marx, "Fondements de la critique de l'économie politique", Ed Anthropos, T.2, p 222).
5°) Elle fait que le prolétariat n'est jamais confirmé dans son rapport au capital : l'exploitation est subsomption. C'est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l'exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l'existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c'est à dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu'en se valorisant : la baisse du taux de profit est une contradiction entre les classes . L'exploitation comme contradiction désobjective le cours du capital.
6°) Le prolétariat est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe:
*la nécessité de sa reproduction est quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital.
*le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est pourtant un pôle nécessaire.
*le prolétariat est en contradiction non pas avec un mouvement automatique de reproduction du mode de production capitaliste mais avec une autre classe, le capital est nécessairement classe capitaliste. Pour le prolétariat sa propre existence de classe passe par une médiation, la classe antagonique.
7°) Ne pouvant permettre de définir les classes en dehors de leur implication réciproque et du cours historique de leur contradiction (la contradiction est précisément ce cours historique), l'exploitation n'en spécifie pas moins la place de chacune des classes dans cette implication. C'est toujours le prolétariat qui est subsumé sous le capital, et le capital doit à l'issue de chaque cycle reproduire le face à face avec le travail, l'exploitation s'achève en effet dans la transformation jamais acquise de la plus-value en capital additionnel (c'est le capital comme procès de son auto-présupposition).
Avec l'exploitation comme contradiction entre les classes nous tenions leur particularisation comme particularisation de la communauté, donc comme étant simultanément leur implication réciproque. Ce qui signifie que nous tenions : l'impossibilité de l'affirmation du prolétariat ; la contradiction entre prolétariat et capital comme histoire ; la critique de toute nature révolutionnaire du prolétariat comme une essence définitoire enfouie ou masquée par la reproduction d'ensemble (l'autoprésupposition du capital). Nous avions historicisé la contradiction et donc la révolution et le communisme et pas seulement leurs circonstances. Ce que sont la révolution et le communisme se produisent historiquement à travers les cycles des luttes qui scandent le développement de la contradiction.
Le dernier point est essentiel, l'échec du cycle de lutte était donc un échec historique, il ne fallait ni jeter le bébé avec l'eau du bain, ni chercher à refaire la révolution allemande en plus "radical" (moins la gestion). La façon dont la révolution et le communisme s'étaient posés en subsomption formelle du travail sous le capital, était celle de l'affirmation de la classe ; puis à partir des années 20, avec l'ultra-gauche, celle de la décomposition de cette affirmation. Sans oublier tout de même que simultanément, de façon dominante, la lutte de classe de cette période avait pour perspective de pousser l'intégration au point de chercher à produire l'abolition de la contradiction qui n'aurait plus lieu d'être (la social-démocratie, les partis communistes). Ce n'est pas parce qu'il était gestionnaire que le mouvement dont les gauches étaient l'expression avait échoué, c'est parce qu'il ne pouvait que l'être, en ce que le cycle de luttes était celui de l'affirmation du travail. Ce n'était pas un échec de La Révolution, mais de la révolution telle qu'elle était historiquement. Il ne pouvait être question de procéder à une sorte de tri entre les positions diverses, c'est toute la problématique de la révolution comme affirmation de la classe qui était à dépasser. Que, dans une autre problématique, des éléments théoriques soient repris et utilisés est tout à fait différent.
On passait d'une perspective où le prolétariat trouve en lui-même face au capital sa capacité à produire le communisme, à une perspective où cette capacité n'est acquise que comme mouvement interne de ce qu'elle abolit. Cette capacité se situe par là-même dans un procès historique, elle définit le dépassement du rapport et non le triomphe d'un de ses termes sous la forme de sa généralisation. Avec l'exploitation comme contradiction nous avions l'identité entre le prolétariat comme classe du mode de production capitaliste et comme classe révolutionnaire.
Cependant en ce qui concerne le second terme cela pouvait encore paraître problématique. Certes l'exploitation ne confirme jamais le prolétariat et le procès du capital comme contradiction entre les classes avait été désobjectivé de telle sorte que le procès historique du capital était lutte de classes et que celle ci avait un sens comme "contradiction en procès" (jusque dans la loi de la baisse tendancielle du taux de profit analysée comme contradiction entre le prolétariat et le capital). Certes l'exploitation pose un rapport dans lequel le prolétariat est défini comme la négation de toutes les conditions existantes (échange, valeur, classe, division du travail, propriété...) sur les bases et comme développement de ces conditions existantes (voir plus loin). Mais il ne fallait pas figer cela, ce rapport contradictoire est une histoire, il n'est pas le mouvement d'une nature révolutionnaire se mouvant dans des conditions diverses. Quelle était donc historiquement la structure de la contradiction à l'oeuvre dans cette fin des années 70 ? Le rapport entre le prolétariat et le capital était en train de se restructurer.
Tout le cycle de luttes antérieur (de la restructuration de l'entre-deux-guerres, à la crise de la fin des années 60) reposait d'une part sur l'intégration de la reproduction conflictuelle du prolétariat dans le cycle propre de la reproduction du capital, en cela il fut bien procès de décomposition de la révolution comme affirmation de la classe ; d'autre part sur la particularisation du prolétariat à l'intérieur de l'autoprésupposition du capital , en cela il fonctionnait toujours sur la base d'un identité ouvrière face au capital. Ce fut là la prégnance de l'identité ouvrière sur la décomposition du programmatisme ("Problématiques de la restructuration" T.C.12)
La situation antérieure de la lutte de classe, et le mouvement ouvrier, reposaient, dans cette première phase de la subsomption réelle qui s'achève dans les années 70, sur la contradiction entre d'une part la création et le développement d'une force de travail mise en oeuvre par le capital de façon de plus en plus collective et sociale, et d'autre part les formes, apparues comme limitées, de l'appropriation par le capital de cette force de travail dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui se développait comme identité ouvrière, qui trouvait ses marques et ses modalités immédiates de reconnaissance (sa confirmation) dans la grande usine, dans la dichotomie entre emploi et chômage, travail et formation, dans la soumission du procès de travail à la collection des travailleurs, dans les relations entre salaires, croissance et productivité à l'intérieur d'une aire nationale, dans les représentations institutionnelles que tout cela implique tant dans l'usine qu'au niveau de l'Etat. Il y avait bien auto-présupposition du capital, conformément au concept de capital, mais la contradiction entre prolétariat et capital ne pouvait se situer à ce niveau, en ce qu'il y avait production et confirmation à l'intérieur même de cette auto-présupposition d'une identité ouvrière par laquelle se structurait, comme mouvement ouvrier, la lutte de classe. C'était la situation de tout le cycle de luttes qui s'achève dans les années 70 et qui se développait à trois niveaux.
a - une affirmation de cette identité (partis communistes, syndicats, certaines fractions social-démocrates), qui contrairement à la situation en subsomption formelle ne peut contenir comme son développement une perspective révolutionnaire autre qu'un capitalisme organisé ou keynésien de gauche -- d'où le gauchisme qui appartient à ce même niveau comme une perpétuelle insatisfaction -- ;
b - l'auto-organisation, c'est-à-dire la rupture avec l'intégration de la reproduction et de la défense de la condition prolétarienne à l'intérieur de la reproduction propre du capital. Elle relève également de la capacité pour le prolétariat de se rapporter à lui-même dans son implication contradictoire avec le capital. Comme discours idéologique militant, elle suppose que l'on a séparé d'un côté l'essence du prolétariat comme classe exploitée et révolutionnaire de par l'affirmation de ce qu'elle est (le travail, la production socialisée...), de l'autre son existence dans son implication réciproque avec le capital (ce qui est pourtant le mouvement même de la contradiction comme exploitation). Cette existence comme classe du mode de production capitaliste se réduit alors aux médiations politiques et syndicales (c'est la démarche de l'Ultra-gauche).
c - l'auto négation : aboutissement des pratiques et théorisations précédentes, puis se posant face à elle comme devant en résoudre les impasses.
Il est intéressant de noter que les trois niveaux se répondent sans cesse et se déterminent constamment les uns par rapport aux autres : l'auto négation des refuseurs du travail contre les auto-organisés, les auto-organisés contre les syndicats.
La restructuration, à l'oeuvre depuis le milieu des années 70, rend le procès de reproduction d'ensemble de la société adéquat à la production de plus-value relative, en ce qu'il ne comporte plus aucun point de fixation dans le double moulinet de la reproduction d'ensemble qui reproduit et renvoie sans cesse prolétariat et capital face à face: "Le procès de production capitaliste reproduit donc de lui-même la séparation entre travailleur et condition du travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions qui forcent l'ouvrier à se vendre pour vivre, et mettent le capitaliste en état de l'acheter pour s'enrichir. Ce n'est plus le hasard qui les place en face l'un de l'autre sur le marché comme vendeur et acheteur. C'est le double moulinet du procès lui-même, qui rejette toujours le premier sur le marché comme vendeur de sa force de travail et transforme son produit toujours en moyen d'achat pour le second. Le travailleur appartient en fait à la classe capitaliste, avant de se vendre à un capitaliste individuel. Sa servitude économique est moyennée et, en même temps, dissimulée par le renouvellement périodique de cet acte de vente, par la fiction du libre contrat, par le changement des maîtres individuels et par les oscillations des prix de marché du travail. Le procès de production capitaliste considéré dans sa continuité, ou comme reproduction, ne produit donc pas seulement marchandise, ni seulement plus-value ; il produit et éternise le rapport social entre capitaliste et salarié." (Marx, "Le Capital", Ed Sociales t 3, p 19-20).
Toutes les caractéristiques du procès de production immédiat (coopération, travail à la chaîne, production-entretien, travailleur collectif, continuité du procès de production, sous-traitance, segmentation de la force de travail), toutes celles de la reproduction (travail, chômage, formation, welfare), toutes celles qui faisait de la classe une détermination de la reproduction du capital lui-même (bouclage de l'accumulation sur une aire nationale, inflation glissante, "partage des gains de productivité", service public), tout ce qui posait le prolétariat en interlocuteur national socialement et politiquement, c'est-à-dire tout ce qui fondait une identité ouvrière à partir de laquelle se jouait le contrôle sur l'ensemble de la société comme gestion et hégémonie, toutes ces caractéristiques, sont laminées ou bouleversées. Il s'agit de tout ce qui peut faire obstacle au double moulinet de l'auto-présupposition du capital, à sa fluidité. On trouve d'une part toutes les séparations, protections, spécifications qui se dressent face à la baisse de la valeur de la force de travail, en ce qu'elles empêchent que toute la classe ouvrière, mondialement, dans la continuité de son existence, de sa reproduction et de son élargissement, doive faire face en tant que telle à tout le capital : c'est le premier moulinet, celui de la reproduction de la force de travail.
On trouve d'autre part toutes les contraintes de la circulation, de la rotation, de l'accumulation, qui entravent le deuxième moulinet, celui de la transformation du surproduit en plus-value et capital additionnel. N'importe quel surproduit doit pouvoir trouver n'importe où son marché, n'importe quelle plus-value doit pouvoir trouver n'importe où la possibilité d'opérer comme capital additionnel, c'est-à-dire se transformer en moyens de production et force de travail, sans qu'une formalisation du cycle international (pays de l'Est, périphérie) ne prédétermine cette transformation. La fluidité de chacun des moulinets n'est mis en oeuvre que dans et par celle de l'autre.
Globalement, la restructuration se définit comme la dissolution de tous les points de cristallisation du double moulinet de l'auto-présupposition du capital, et cela depuis tout ce qui constitue l'identité ouvrière, jusqu'à la séparation entre centre et périphérie, la séparation du cycle mondial en deux aires d'accumulation et enfin au système monétaire. Avec la restructuration actuelle, ce sont les deux bras du moulinet qui deviennent adéquats à la production de plus-value relative en même temps que le procès de production immédiat, leur intersection, qui confère à chacun son énergie et la nécessité de sa métamorphose. C'est en ce sens que la production de plus-value et la reproduction des conditions de cette production coïncident. Tant et si bien que la contradiction entre les classes se situe dorénavant au niveau de leur reproduction en tant que classes . Ce niveau de la contradiction comporte : la disparition de toute identité ouvrière ; l'existence comme classe du prolétariat est identique à sa contradiction avec le capital ; le prolétariat ne porte aucun projet de réorganisation sociale sur la base de ce qu'il est. Ce sont là les caractéristiques du nouveau cycle de luttes.
Pour le prolétariat, cela signifie qu'être en contradiction avec le capital, c'est être en contradiction avec sa propre existence comme classe ; il n'y a aucune contradiction interne, mais affrontement avec l'autre terme bien réel et autonome du rapport : le capital. Au cours de ce cycle de luttes, la pratique de la classe contre le capital, dans la phase à venir de crise de la reproduction d'ensemble, comporte la capacité à mettre en question sa propre existence comme classe. C'est la même structure de la contradiction qui est à l'oeuvre dans le cours des luttes revendicatives et qui trouve alors dans la reproduction du capital sa limite spécifique en même temps que sa radicalité. Produire son appartenance de classe dans le capital, comme une contrainte extérieure, et une contingence, c'est dans la révolution, dans la crise de l'implication réciproque, le dépassement du cours quotidien des luttes revendicatives produit à partir de ces luttes elles-mêmes et en leur sein. C'est la perspective offerte par ce cycle de luttes, non comme une transcroissance mais comme un dépassement produit (cf, "Des luttes actuelles à la révolution" T.C.13).
Pour comprendre la production du communisme, c'est au contenu de cette remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe qu'il faut s'intéresser. La classe trouve alors, dans ce qu'elle est contre le capital, la capacité de communiser la société, au moment où simultanément, elle traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. La contradiction entre les classes est devenue la "condition" de sa propre résolution comme immédiateté sociale de l'individu.
Le prolétariat, défini dans l'exploitation est la dissolution des conditions existantes en ce qu'il est non-capital, il trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur.
C'est parce que le prolétariat dans son rapport contradictoire au capital est la dissolution des conditions existantes que la contradiction qu'est l'exploitation peut prendre cette forme de l'appartenance de classe comme contrainte extérieure dans le capital. Cette structure ultime de la contradiction entre le prolétariat et le capital n'est que ce contenu de la contradiction (le prolétariat comme dissolution des conditions existantes sur la base des conditions existantes) en mouvement, ce contenu comme forme. Cette structuration de la contradiction n'est pas le cadre dans lequel se manifesterait un contenu immuable, une nature révolutionnaire de la classe, une définition préexistante. C'est de par ce qui est au coeur de cette situation de dissolution des conditions existantes dans le rapport contradictoire au capital, c'est-à-dire de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, de par le fait qu'aucun des éléments de sa définition ne soit quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, qu'est l'exploitation, peut se structurer comme extranéisation de l'appartenance de classe. Cette structure de la lutte de classe est alors en elle-même un contenu, c'est à dire une pratique. Etre la dissolution des conditions existantes comme classe s'impose dans l'extranéisation de l'appartenance de classe comme quelque chose à dépasser , en même temps qu'elle s'impose comme le présupposé de ce dépassement , qu'elle fournit les axes de celui-ci comme pratique, comme mesures communistes dans la révolution.
Le prolétariat est la dissolution de la propriété sur la base de la propriété. Comme propriété, c'est son activité elle-même qui se dresse face à lui. Sur la base de la propriété, il est la dissolution de la forme autonome de la richesse. En tant que négation de la propriété comme rapport interne à la propriété, le prolétariat est la présupposition nécessaire du dépassement de l'appropriation sur le mode de l'avoir, dissolution de l'objectivité face à l'activité comme subjectivité, dépassement de la détermination contradictoire de la richesse comme objectivité et subjectivité.
Le prolétariat est la dissolution de la division du travail sur la base de la division du travail. L'aliénation que représente la division du travail n'est pas en soi dans le fait de fixer chaque individu dans un développement unilatéral, mais dans le fait que cette fixation n'existe qu'en corrélation avec l'accession à l'indépendance du caractère social de l'activité humaine. Dans le mode de production capitaliste la division du travail parvient à un stade où une classe peut être sa dissolution interne, et comme activité révolutionnaire, la présupposition de son dépassement.
En tant que travail vivant le prolétariat fait face à l'enchaînement du travail social objectivé dans le capital social. Producteur de plus-value, le prolétariat se rapporte à chaque capital en tant que partie aliquote du capital total. La capacité du prolétariat à traiter cet enchaînement comme totalité ne résulte pas seulement de ce que producteur de valeur, son travail n'est par là même attaché à aucune production particulière, mais encore être producteur de valeur cela implique le total développement de la division manufacturière. L'extrême division manufacturière du travail se rapporte au travail concret, mais elle n'existe que parce que ce travail concret doit se prouver comme travail abstrait, que par le double caractère du travail. Ainsi pour le prolétariat, être la dissolution de la division du travail sur la base de la division du travail, parce qu'il est travail vivant producteur de valeur et de plus-value, le fonde à produire le communisme parce qu'il est à même de traiter l'activité humaine comme totalité. En outre la relation, dans le prolétariat, entre la division sociale et la division manufacturière du travail, le fonde à traiter l'activité humaine comme totalité à partir de chaque activité particulière qui inclut cette totalité. Il ne s'agit plus alors de concevoir l'activité humaine en tant qu'elle est traitée comme totalité, au travers d'une réorganisation de la production, d'une globalisation, d'une planification, qui à nouveau ne ferait que définir les parties comme des accidents de la totalité (cf, la division du travail dans le mode de production asiatique ou la communauté traditionnelle). C'est là que gît, dans ce double aspect du travail qui est divisé (double aspect qui se détermine l'un l'autre dans la production capitaliste de la valeur), la capacité à produire cette immédiateté de l'enchaînement général du travail social dans chaque activité concrète, et non comme une globalisation, ou une résultante de ces activités. En fait cela signifie que l'activité humaine n'a alors d'autre but qu'elle même et son objet, sur lequel elle s'applique, et non plus une finalité externe (capital, valeur, reproduction de l'unité supérieure etc...).
Le prolétariat est la dissolution de l'échange et de la valeur sur la base de l'échange et de la valeur. Dans le système de la valeur, la négation d'elle-même passe nécessairement par sa forme en mouvement : l'échange.
Le premier aspect par lequel le prolétariat est négation de l'échange sur la base de l'échange reposait sur l'échange du travail vivant contre du travail objectivé, échange dans lequel en définitive le capitaliste ne faisait que remettre à l'ouvrier une partie de son travail précédemment objectivé. De là, contre le capital, le prolétariat trouve, dans ce qu'il est, la capacité, abolissant le capital, de produire et traiter l'activité humaine comme son propre processus de renouvellement en dehors de toute autre présupposition.
Le second aspect par lequel le prolétariat est la négation de l'échange sur la base de l'échange repose sur le fait que le capital est une contradiction en procès, en ce que pour se valoriser, il met en oeuvre du travail promu au rang de travail social mais qui n'est tel qu'ayant son caractère social objectivé en face de lui, ce n'est que dans ce rapport qu'on peut le qualifier de travail directement social. Les caractéristiques de l'accumulation du capital, l'universalisation et la socialisation du travail comme antagonisme au travail lui-même, fondent pour le prolétariat la capacité, abolissant le capital, de produire la situation dans laquelle toute activité trouve sa fin en elle-même, en ce qu'elle est présupposée par l'activité de toute la société et la concentre.
Le prolétariat est donc la négation de l'échange sur la base de l'échange, en ce que l'échange est l'affirmation du caractère social de toute activité dans l'aliénation, comme extérieure à elle-même. Le processus de production et d'exploitation capitaliste ne peut mettre en oeuvre qu'un travail socialisé en vue de la création de valeur, c'est là une contradiction en procès qui dans le mode de production capitaliste , prend l'existence bien réelle de l'incapacité pour le travail vivant à valoriser la masse croissante du capital fixe où s'objective, séparé de lui, son caractère social.
Le prolétariat est en tant que classe, la dissolution des classes . Etre la dissolution des classes n'est pas être autre chose que la dissolution des conditions existantes, mais il ne s'agit pas du même niveau, être la dissolution des classes c'est être la dissolution des conditions existantes comme pratique, comme lutte de classe, c'est la dissolution des conditions existantes en ce que comme classe particulière cette dissolution est un sujet, une pratique révolutionnaire. Le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles. Il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société (cf plus haut la révolution russe).
Contre le capital, dans l'aspect le plus immédiat de sa pratique, de ce qu'il fait, le prolétariat ne veut pas rester ce qu'il est ; il ne s'agit pas là d'une contradiction interne. Il agit bien en tant que classe: se changer soi même et changer ces conditions coïncident. On a, à ce niveau, la dissolution des conditions existantes comme action d'un sujet, comme pratique résumant la dissolution des conditions existantes dans une classe, qui est la dissolution des classes simplement parce qu'elle lutte en tant que telle. C'est dans sa contradiction avec le capital que le prolétariat est une classe qui ne se détermine jamais positivement en elle-même, ce n'est donc que contre le capital et non en lui-même qu'il est la dissolution des classes.
L'appartenance de classe n'est pas en soi une aliénation par rapport à un individu isolé, une personne, qui devrait se définir, ou non, comme socialement membre d'une classe. L'appartenance de classe, être un individu particulier, est une aliénation dans la mesure où c'est nécessairement poser la classe antagonique, la séparation d'avec la communauté, comme sa propre définition d'être de la communauté.
Analyser le prolétariat comme dissolution des classes en tant que classe particulière n'aboutit qu'à comprendre comment abolissant le capital, le prolétariat trouve dans ce qu'il est, dans cette contradiction, la capacité à produire le communisme comme développement de l'humanité ne considérant rien de ce qui a été produit comme limite : auto-production de l'humanité ne posant aucun rapport social comme présupposition à reproduire, auto-production comme manque, passion, destruction et création constante, posant sans cesse le devenir comme prémisse. De la même façon que dans le prolétariat, comme classe particulière qui est la dissolution des classes, on avait la synthèse de toutes les autres dissolutions qu'est le prolétariat (propriété,échange,valeur, division du travail), dans son abolition comme classe, qui est produite dans la révolution, on retrouve le contenu positif du dépassement de toutes les aliénations, qui dans leurs diversités constituent le contenu des mesures communistes prises par le prolétariat au cours de la révolution..
L'immédiateté sociale de l'individu, cela signifie fondamentalement l'abolition de la division de la société en classes, scission par laquelle la communauté est étrangère à l'individu. On peut alors approcher positivement ce que sont les individus immédiatement sociaux, ou plutôt ce que sont les rapports d'individus immédiatement sociaux dans leur singularité (à ce point des choses le terme lui-même de "social" est ambigu, il n'est peut-être plus nécessaire). Leur auto-production dans leurs rapports réciproques n'implique jamais une reproduction dans un état qui serait une particularisation de la communauté, ce qui est impliqué par la division du travail, la propriété, et les classes. Les individus immédiatement sociaux traitent consciemment tout objet comme activité humaine et dissolvent l'objectivité en un flux d'activités (dépassement du prolétariat comme dissolution de la propriété sur la base de la propriété); ils traitent leur propre activité comme particularisation concrète de l'activité humaine (d° pour la division du travail) ; ils considèrent pratiquement leur production et leur produit, dans leur coïncidence, comme étant leur propre fin en soi et incluant leurs déterminations, leurs possibilités d'effectuation et leurs finalités (d° pour l'échange et la valeur) ; et finalement ils posent la société comme étant à produire constamment dans le rapport entre individus, et chaque relation comme prémisse de sa transformation (d° pour les classes).
Le dépassement des conditions existantes, c'est le dépassement de l'objectivation de la production. En cela le communisme est le dépassement de toute l'histoire passée, il n'est pas un nouveau mode de production et ne peut se poser la question de la gestion de celle-ci. C'est une rupture totale avec les notions d'économie, de forces productives, de mesure objectivée de la production. L'homme est un être objectif (qui se complète avec des objets extérieurs qu'il fait devenir pour lui) ; tout au long de son histoire, la non-coïncidence entre l'activité individuelle et l'activité sociale qui est le fait même de son histoire et qui n'a ni à être prouvée, ni produite abstraitement, prenait la forme chez cet être objectif de la séparation ( de l'objectivation) de l'acte productif et de la production, d'avec lui-même, devenant le caractère social de son activité individuelle. Séparation, aliénation, objectivation, au cours de l'histoire de la séparation de l'activité d'avec ses conditions, constituèrent celles-ci en économie, en rapport de production, en mode de production.. Dissolution des conditions existantes du mode de production capitaliste, comme classe, le prolétariat, sans se figurer que toute l'histoire passée n'avait comme but que de parvenir à cette situation est la présupposition dans sa contradiction avec le capital du dépassement de toute cette histoire
Comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? L'histoire du mode de production capitaliste comme contradiction entre le prolétariat et le capital nous donne la résolution de l'énigme. Mais attention, lorsque du doigt on trace sur la carte le chemin à parcourir, on n'est pas pour autant parvenu au but ; c'est dans la lutte de classes de ce cycle de luttes que l'énigme doit être résolue.
Théorie Communiste : de TC 14 à la théorie de l’écart
« Comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? L’histoire du mode de production capitaliste comme contradiction entre le prolétariat et le capital nous donne la résolution de l’énigme. Mais attention, lorsque du doigt on trace sur la carte le chemin à parcourir, on n’est pas pour autant parvenu au but ; c’est dans la lutte de classes de ce cycle de luttes que l’énigme doit être résolue. »
Ainsi s’achève le texte « Théorie Communiste » rédigé en 1996 et publié fin 1997. Depuis plus de dix ans, le procès de résolution de l’énigme s’est poursuivi et a connu certains rebondissements.
Après tant d’années qui furent celles de la restructuration du mode de production capitaliste, le nouveau cycle de luttes a fait son chemin à travers elle. Dans le texte « Théorie Communiste », fondamentalement le cycle de luttes actuel se définit par le fait que, dans la restructuration du mode de production capitaliste, la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective sans que ce nœud inclut, ou même soit le fait, de l’existence d’une identité ouvrière confirmée dans cette construction, ce qui avait défini la première phase de la subsomption réelle. Ce qui signifie que l’exploitation est une contradiction dans laquelle, simultanément, le prolétariat est amené à se remettre lui-même en cause parce qu’il n’a d’autre existence pour lui-même que les catégories du mode de production capitaliste. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Porter le dépassement immédiat du capital comme abolition de toutes les classes, c’est la dynamique de ce cycle de luttes, mais c’est aussi ce qui fait l’identité de cette dynamique avec sa limite : être une classe, ce n’est qu’être une classe dans le mode de production capitaliste, ne plus avoir dans sa situation aucune affirmation d’un au-delà. « C’est la même structure de la contradiction qui est à l’œuvre dans le cours des luttes revendicatives et qui trouve alors dans la reproduction du capital sa limite spécifique en même temps que sa radicalité » écrivions nous dans le texte « Théorie Communiste ». Cette identité nous pouvons la constater quotidiennement, c’est-à-dire constater que tant que l’action de la classe demeure en tant que telle, elle ne contient immédiatement rien d’autre que la reproduction des rapports capitalistes. Mais nous pouvons maintenant reconnaître que l’identité (n’exister que dans les catégories du capital / se remettre en cause comme classe) n’est pas une confusion, qu’elle contient aussi la différence comme un écart à l’intérieur d’elle-même et que c’est là, la dynamique de ce cycle de luttes. Cet écart c’est la diversité des déterminations et des pratiques au cours des luttes : il est l’enjeu de ces luttes.
La formulation de la théorie de l’écart est un salut à notre vieille amie, cette vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre.
Toutes les caractéristiques de la lutte de classe qui ne nous apparaissaient au cours de celle-ci que dans leur identité immédiate avec leur limite et qui, par là, n’annonçaient le dépassement de la question centrale du communisme (comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle produire l’abolition de toutes les classes ?) qu’à travers ce qui n’était largement qu’une déduction théorique, ont commencé à apparaître pour elles-mêmes. Nous pouvons les reconnaître empiriquement pour ce qu’elles sont et dire « il y a du nouveau ». C’est cette nouveauté que, théoriquement, nous tentons de formaliser avec le concept d’écart. Actuellement la lutte de classe du prolétariat comporte des éléments repérables, des activités qui annoncent son dépassement.
De façon rétrospective, nous pouvons alors considérer le travail théorique accompli[1] entre la publication de « Théorie Communiste » dans TC 14 et la formulation de la théorie de l’écart dans TC 20 comme un cheminement vers cette nouveauté. Dans ce cheminement, la question constamment abordée et remise en chantier soit pour elle-même, soit au travers d’analyses particulières était celle de cette identité entre la limite et la dynamique de ce cycle de lutte : d’une part, agir en tant que classe et n’avoir pour horizon que la reproduction du capital, d’autre part se remettre en cause dans cette action en tant que classe. La théorie de l’écart est l’aboutissement provisoire de ce cheminement avec la notion d’appartenance de classe comme contrainte extérieure
Le rapport d’exploitation est la définition du prolétariat comme classe. C’est un rapport d’implication réciproque dans lequel chaque terme (travail et capital) a dans l’autre sa nécessité, sa raison d’être. Cependant la relation n’est pas symétrique : le capital subsume le travail. C’est là que les choses se compliquent.
Pour le prolétariat, sa définition et la nécessité de sa reproduction sont quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est-à-dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Pour le mode de production capitaliste, il est constamment nécessaire et toujours de trop Nous trouvons là la baisse tendancielle du taux de profit comme contradiction entre le prolétariat et le capital, contradiction entre des classes.
Le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est un pôle nécessaire. Sa propre définition et existence comme classe sont constamment, dans le rapport au capital, pour elles-même une contradiction. C’est de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, c’est-à-dire de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer, en tant que pratique du prolétariat dans la lutte des classes, comme extranéisation de l’appartenance de classe.
Dans ce cycle de luttes, agir en tant que classe est devenu dans l’activité même du prolétariat en tant que classe, la limite de cette activité. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est cette structure de la contradiction dans laquelle agir en tant que classe est la limite même de l’activité du prolétariat devenue enjeu de la lutte de classe. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et devienne l’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiciton actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.
Si le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles, il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société. C’est parce que le prolétariat est non-capital, parce qu’il est la dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété) dans ces conditions et non face à elles, que la contradiciton qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Comme non-capital, le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital. Ces mesures sont la réalité même de la production, dans la lutte contre le capital, de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure.
Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles. Produire l’appartenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société au moment où il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital de retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou autochangement. Ce sont ce retournement et sa théorie qui sont, au présent, la possibilité de la révolution comme communisation.
La dynamique de ce cycle de luttes n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe.
C’est par cet écart que certaines pratiques créent dans les luttes actuelles, à l’intérieur même de leur limite, que la communisation devient une question actuelle, qu’elle est un problème de maintenant. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de la limite : agir en tant que classe.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe. Ce conflit, cet écart, dans l’action de la classe (se reproduire comme classe de ce mode de production / se remettre en cause) existe dans le cours de la plupart des conflits, la défaite est le rétablissement de l’identité.
La rupture, le saut qualitatif, entre le cours quotidien des luttes et la révolution s’annoncent dans le cours quotidien comme la multiplication des écarts dans cette identité. Il ne s’agit pas de considérer les éléments qui constituent cette annonce comme des germes à développer, mais comme ce qui rend invivable cette identité chaque fois que le prolétariat, dans son action, extranéise son existence comme classe comme une contrainte existant dans le capital, face à lui. Entre la constitution de la classe dans sa contradiction avec le capital et sa nécessaire reproduction dans la reproduction de celui-ci existe un écart qui est l’existence de pratiques dans lesquelles le prolétariat, contre le capital, n’accepte plus son existence comme classe de ce mode de production, sa propre existence, sa propre définition sociale. C’est-à-dire, d’une part l’existence de la classe, qui n’est plus qu’une existence pour le capital, telle que toute lutte la formalise dans la reproduction du capital et telle que dans sa lutte le prolétariat ne la reconnaît plus comme sienne et, d’autre part, sa remise en cause, le refus de sa situation, auxquels la poursuite et l’approfondissement de sa contradiction avec le capital entraînent le prolétariat. C’est cet écart qui annonce, dans le cours quotidien des luttes, son dépassement, c’est la raison d’être d’un courant communisateur. Dans chacune de ses luttes, le prolétariat voit son existence comme classe s’objectiver dans la reproduction du capital comme quelque chose qui lui est étranger et que dans sa lutte il est amené à remettre en cause.
Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. « Une seule solution, la révolution » est l’ineptie symétrique à celle de la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette rupture est produite positivement par le déroulement du cycle de luttes qui la précède et on peut dire qu’elle en fait encore partie. Cette rupture s’annonce dans la multiplication des écarts à l’intérieur de la lutte de classe. Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir / abolir[2].
Ce cycle de luttes est l’action d’une classe ouvrière recomposée. Il s’agit, dans les aires centrales d’accumulation, de la disparition des grands bastions ouvriers et de la prolétarisation des employés, de la tertiarisation de l’emploi ouvrier (spécialistes de l’entretien, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires, etc. - ce type d’emploi est maintenant majoritaire chez les ouvriers), du travail dans des entreprises ou des sites plus petits, d’une nouvelle division du travail et de la classe ouvrière avec l’externalisation des activités à faible valeur ajoutée (travailleurs jeunes, payés au smic, souvent intérimaires, sans perspective professionnelle), de la généralisation des flux tendus, de la présence de jeunes ouvriers pour qui la scolarisation a rompu le fil des générations et qui rejettent massivement le travail en usine et la condition ouvrière en général, des délocalisations.
Les grandes concentrations ouvrières en Inde ou en Chine s’inscrivent dans cette segmentation mondiale de la force de travail, tant par leur définition mondiale que par leur propre inscription nationale elles ne peuvent être considérées comme une renaissance ailleurs de ce qui a disparu en « occident ». C’est un système social d’existence et de reproduction qui définissait l’identité ouvrière et qui s’exprimait dans le mouvement ouvrier et non la simple existence de caractéristiques matérielles quantitatives.
Le paradoxe de cette nouvelle composition de classe est de faire disparaître la reconnaissance de l’existence de la classe ouvrière au moment même où sa condition s’étend et où cette « disparition » n’est que l’effet de cette nouvelle composition et de sa segmentation. La classe ouvrière est on ne peut plus présente et la lutte des classes l’axe autour duquel tourne l’histoire, mais d’une part elle n’est plus confirmée dans la reproduction du capital et d’autre part, pour le prolétariat sa contradiction avec le capital contient sa propre remise en cause.
L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification du prolétariat qui ne sera pas différente de celle de l’humanité, c’est-à-dire de sa création comme l’ensemble des relations que les individus établissent entre eux dans leur singularité.
Abolir le capital c’est se nier comme travailleur et non s’auto-organiser comme tel, c’est un mouvement d’abolition des entreprises, des usines, du produit, de l’échange (quelque soit sa forme).
Synthétiquement, ce cycle de luttes actuel se définit comme une situation où le prolétariat n’existe comme classe que dans son rapport contradictoire au capital qui ne comporte aucune confirmation d’une identité ouvrière ni de « retour sur soi » face au capital, la contradiction avec le capital est pour le prolétariat sa propre remise en cause. Le prolétariat n’en devient pas pour autant un être « purement négatif » sauf si l’on entend par là la critique de toute conception d’une nature révolutionnaire du prolétariat.
En tant que dissolution des conditions existantes, le prolétariat est défini comme classe dans le capital et dans son rapport avec lui, c’est-à-dire comme classe du travail productif de valeur et plus précisément de plus-value. Ce qui a disparu dans le cycle de luttes actuel, à la suite de la restructuration des années 1970 / 1980, ce n’est pas cette existence objective, c’est la confirmation dans la reproduction du capital d’une identité prolétarienne. Dire que le prolétariat n’existe comme classe que dans et contre le capital, qu’il produit tout son être, toute son organisation, sa réalité et sa constitution comme classe dans le capital et contre lui, c’est dire qu’il est la classe du travail productif de plus-value.
Le prolétariat ne peut être révolutionnaire qu’en se reconnaissant en tant que classe, il se reconnaît ainsi dans chaque conflit et à plus forte raison dans une situation où son existence en tant que classe sera, dans la reproduction du capital, la situation qu’il aura à affronter. C’est sur le contenu de cette « reconnaissance » qu’il ne faut pas se tromper. Se reconnaître comme classe ne sera pas un « retour sur soi » mais une totale extraversion comme auto-reconnaissance en tant que catégorie du mode de production capitaliste. Ce que l’on est comme classe n’est immédiatement que notre rapport au capital. Cette « reconnaissance » sera en fait une connaissance pratique, dans le conflit, non de soi pour soi, mais du capital.
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L’appartenance de classe comme contrainte extérieure
Le rapport d’exploitation est la définition du prolétariat comme classe. C’est un rapport d’implication réciproque dans lequel chaque terme (travail et capital) a dans l’autre sa nécessité, sa raison d’être. Cependant la relation n’est pas symétrique : le capital subsume le travail. C’est là que les choses se compliquent.
Pour le prolétariat, sa définition et la nécessité de sa reproduction sont quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est-à-dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Pour le mode de production capitaliste, il est constamment nécessaire et toujours de trop Nous trouvons là la baisse tendancielle du taux de profit comme contradiction entre le prolétariat et le capital, contradiction entre des classes.
Le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est un pôle nécessaire. Sa propre définition et existence comme classe sont constamment, dans le rapport au capital, pour elles-même une contradiction. C’est de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, c’est-à-dire de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer, en tant que pratique du prolétariat dans la lutte des classes, comme extranéisation de l’appartenance de classe.
Dans ce cycle de luttes, agir en tant que classe est devenu dans l’activité même du prolétariat en tant que classe, la limite de cette activité. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est cette structure de la contradiction dans laquelle agir en tant que classe est la limite même de l’activité du prolétariat devenue enjeu de la lutte de classe. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et devienne l’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiciton actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.
Si le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles, il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société. C’est parce que le prolétariat est non-capital, parce qu’il est la dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété) dans ces conditions et non face à elles, que la contradiciton qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Comme non-capital, le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital. Ces mesures sont la réalité même de la production, dans la lutte contre le capital, de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure.
Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles. Produire l’apprtenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société au moment où il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital de retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou autochangement. Ce sont ce retournement et sa théorie qui sont, au présent, la possibilité de la révolution comme communisation.
C’est dans la restructuration du rapport entre le prolétariat et le capital qui a accompagné la crise de la fin des années 1960 et qui s’achève dans les années 1980 que prend forme le cycle de luttes actuel qui nous permet de parler de la révolution comme communisation.
Le principal résultat du procès de production capitaliste a toujours été le renouvellement du rapport capitaliste entre le travail et ses conditions. Si cela est inclus dans le concept même de capital (il se présuppose lui-même, autrement dit il est un procès d’autoprésupposition), la manière dont, dans les relations entre les classes, dans leurs luttes, et dans les modalités de la valorisation du capital, cette autoprésupposition existe est, quant à elle, par définition historique.
En subsomption réelle du travail sous le capital, jusqu’à la crise de la fin des années 1960 et la restructuration qui s’ensuivit, la détermination du procès d’autoprésupposition qui caractérisait le cycle de luttes, c’était la production d’une identité ouvrière, confirmée à l’intérieur même de la reproduction du capital.
Cette identité ouvrière, quelles que soient les formes sociales et politiques de son existence (des Partis communistes à l’autonomie ; de l’Etat socialiste aux Conseils ouvriers), reposait dans sa totalité sur la contradiction qui se développe alors entre d’une part la création et le développement d’une force de travail mise en oeuvre par le capital de façon de plus en plus collective et sociale, et d’autre part les formes de l’appropriation par le capital, de cette force de travail, dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui dans le cycle de luttes se développe comme identité ouvrière, qui trouve ses marques et ses modalités immédiates d’appréhension dans la « grande usine » ; dans la dichotomie entre emploi et chômage, travail et formation ; dans la soumission du procès de travail à la collection des travailleurs ; dans les relations entre salaires, croissance et productivité à l’intérieur d’une aire nationale ; dans les représentations institutionnelles que tout cela implique tant dans l’usine qu’au niveau de l’Etat ; dans le bouclage de l’accumulation sur une aire nationale. Il y avait bien autoprésupposition du capital, conformément au concept de capital, mais la contradiction entre prolétariat et capital se situait à ce niveau par la production et la confirmation, à l’intérieur même de cette autoprésupposition, d’une identité ouvrière par laquelle se structurait le cycle de luttes.
L’extraction de plus-value sous son mode relatif, aussi bien au niveau du procès de production immédiat qu’à celui de la reproduction d’ensemble, est le principe de développement et de mutation de la subsomption réelle A ces deux niveaux apparaissent durant la première phase de la subsomption réelle les obstacles à la poursuite de l’accumulation telle que l’extraction de plus-value sous son mode relatif avait elle-même structuré cette accumulation.
Il s’agit de tout ce qui était devenu une entrave à la fluidité de l’auto présupposition du capital. On trouve d’une part toutes les séparations, protections, spécifications qui se dressent face à la baisse de la valeur de la force de travail, en ce qu’elles empêchent que toute la classe ouvrière, mondialement, dans la continuité de son existence, de sa reproduction et de son élargissement, doive faire face en tant que telle à tout le capital. On trouve d’autre part toutes les contraintes de la circulation, de la rotation, de l’accumulation, qui entravent la transformation du surproduit en plus-value et capital additionnel. N’importe quel surproduit doit pouvoir trouver n’importe où son marché, n’importe quelle plus-value doit pouvoir trouver n’importe où la possibilité d’opérer comme capital additionnel, c’est à dire se transformer en moyens de production et force de travail, sans qu’une formalisation du cycle international (pays de l’Est, périphérie) ne prédétermine cette transformation.
Globalement, la restructuration des années 1970 / 1980 se définit comme la dissolution de tous les points de cristallisation de l’auto présupposition du capital, et cela depuis tout ce qui constitue l’identité ouvrière, jusqu’à la séparation entre centre et périphérie, la séparation du cycle mondial en deux aires d’accumulation et enfin au système monétaire et financier. Avec la restructuration achevée dans les années 1980, la production de plus-value et la reproduction des conditions de cette production coïncident. C’est la façon dont étaient architecturées d’une part l’intégration de la reproduction de la force de travail, d’autre part la transformation de la plus-value en capital additionnel et enfin l’accroissement de la plus-value sous son mode relatif dans le procès de production immédiat, qui étaient devenues des entraves à la valorisation sur la base de la plus-value relative.
Cette non-coïncidence entre production et reproduction était la base de la formation et confirmation dans la reproduction du capital d’une identité ouvrière, elle était l’existence d’un hiatus entre production de plus-value et reproduction du rapport social, hiatus autorisant la concurrence entre deux hégémonies, deux gestions, deux contrôles de la reproduction. Elle était la substance même du mouvement ouvrier.
Dans ses trois déterminations définitoires (procès de travail, intégration de la reproduction de la force de travail, rapports entre les capitaux sur la base de la péréquation du taux de profit) l’extraction de plus-value sous son mode relatif implique la coïncidence entre production et reproduction et corollairement la coalescence entre la constitution et la reproduction du prolétariat comme classe d’une part et d’autre part sa contradiction avec le capital.
La contradiction entre le prolétariat et le capital a alors pour contenu essentiel son propre renouvellement, d’où l’identité entre la constitution du prolétariat comme classe et sa contradiction avec le capital. Dans sa contradiction avec le capital qui le définit comme classe, le prolétariat se remet lui-même en cause.
La restructuration du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital signifie que fondamentalement le cycle de luttes actuel se définit par le fait que la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective, ce qui signifie que, dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat trouve et affronte sa propre constitution et existence comme classe. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Parce que la perspective de la révolution n’est plus de l’ordre de l’affirmation de la classe, elle ne peut plus être de l’ordre de l’auto-organisation.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Ce conflit, cet écart dans l’action du prolétariat est le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. Des luttes quotidiennes à la révolution il ne peut y avoir que rupture. Mais cette rupture s’annonce dans le cours quotidien de la lutte de classe chaque fois que dans celles-ci l’appartenance de classe apparaît comme une contrainte extérieure objectivée dans la capital dans le cours même, pour le prolétariat, de son activité en tant que classe. Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir.
L’action en tant que classe creuse un écart à l’intérieur d’elle-même par des pratiques qui extériorisent leur propre existence de pratiques de classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital. On ne peut plus rien faire en tant qu’ouvrier en le demeurant.
Cet affrontement du prolétariat à sa propre constitution en classe est maintenant le contenu de la lutte de classe et l’enjeu de celle-ci est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe et de toutes les classes. C’est par là que nous pouvons parler actuellement du communisme et en parler au présent.
Nous sommes théoriquement les guetteurs et les promoteurs de ces écarts qui à l’intérieur de la lutte du prolétariat sont sa propre remise en cause et, pratiquement, les acteurs lorsque nous y sommes directement engagés. Nous existons dans cette rupture, dans ce déchirement de l’activité en tant que classe du prolétariat. Il n’y a plus de perspective pour le prolétariat à partir de soi-même comme classe du mode de produciton capitaliste, si ce n’est la capacité de dépasser son existence de classe dans l’abolition du capital. Il existe une identité absolue entre être en contradiction avec le capital et être en contradiction avec sa propre situation et définition comme classe.
C’est par cet écart à l’intérieur même de la limite (agir en tant que classe) que la communisation devient une question actuelle. Ecart que certaines pratiques créent dans les luttes actuelles de par la dualité que contient cette limite : n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe. Cet écart à l’intérieur de la limite c’est la dynamique de ce cycle de luttes. Actuellement la lutte de classe du prolétariat comporte des éléments repérables, des activités qui annoncent son dépassement dans son propre cours.
Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. « Une seule solution, la révolution » est l’ineptie symétrique à celle de la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette rupture est produite positivement par le déroulement du cycle de luttes qui la précède et on peut dire qu’elle en fait encore partie. Cette rupture s’annonce dans la multiplication des écarts à l’intérieur de la lutte de classe.
Les luttes revendicatives et les autres (celles qui ne le sont pas) ont des caractéristiques qui étaient impensables il y a une trentaine d’années.
Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir / abolir.
Ce cycle de luttes est l’action d’une classe ouvrière recomposée. Il s’agit, dans les aires centrales d’accumulation, de la disparition des grands bastions ouvriers et de la prolétarisation des employés, de la tertiarisation de l’emploi ouvrier (spécialistes de l’entretien, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires, etc. - ce type d’emploi est maintenant majoritaire chez les ouvriers), du travail dans des entreprises ou des sites plus petits, d’une nouvelle division du travail et de la classe ouvrière avec l’externalisation des activités à faible valeur ajoutée (travailleurs jeunes, payés au smic, souvent intérimaires, sans perspective professionnelle), de la généralisation des flux tendus, de la présence de jeunes ouvriers pour qui la scolarisation a rompu le fil des générations et qui rejettent massivement le travail en usine et la condition ouvrière en général, des délocalisations.
Les grandes concentrations ouvrières en Inde ou en Chine s’inscrivent dans cette segmentation mondiale de la force de travail, tant par leur définition mondiale que par leur propre inscription nationale elles ne peuvent être considérées comme une renaissance ailleurs de ce qui a disparu en « occident ». C’est un système social d’existence et de reproduction qui définissait l’identité ouvrière et qui s’exprimait dans le mouvement ouvrier et non la simple existence de caractéristiques matérielles quantitatives.
Le paradoxe de cette nouvelle composition de classe est de faire disparaître la reconnaissance de l’existence de la classe ouvrière au moment même où sa condition s’étend et où cette « disparition » n’est que l’effet de cette nouvelle composition et de sa segmentation. La classe ouvrière est on ne peut plus présente et la lutte des classes l’axe autour duquel tourne l’histoire, mais d’une part elle n’est plus confirmée dans la reproduction du capital et d’autre part, pour le prolétariat sa contradiction avec le capital contient sa propre remise en cause.
L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification du prolétariat qui ne sera pas différente de celle de l’humanité, c’est-à-dire de sa création comme l’ensemble des relations que les individus établissent entre eux dans leur singularité.
Abolir le capital c’est se nier comme travailleur et non s’auto-organiser comme tel, c’est un mouvement d’abolition des entreprises, des usines, du produit, de l’échange (quelque soit sa forme).
Synthétiquement, ce cycle de luttes actuel se définit comme une situation où le prolétariat n’existe comme classe que dans son rapport contradictoire au capital qui ne comporte aucune confirmation d’une identité ouvrière ni de « retour sur soi » face au capital, la contradiction avec le capital est pour le prolétariat sa propre remise en cause. Le prolétariat n’en devient pas pour autant un être « purement négatif » sauf si l’on entend par là la critique de toute conception d’une nature révolutionnaire du prolétariat.
En tant que dissolution des conditions existantes, le prolétariat est défini comme classe dans le capital et dans son rapport avec lui, c’est-à-dire comme classe du travail productif de valeur et plus précisément de plus-value. Ce qui a disparu dans le cycle de luttes actuel, à la suite de la restructuration des années 1970 / 1980, ce n’est pas cette existence objective, c’est la confirmation dans la reproduction du capital d’une identité prolétarienne. Dire que le prolétariat n’existe comme classe que dans et contre le capital, qu’il produit tout son être, toute son organisation, sa réalité et sa constitution comme classe dans le capital et contre lui, c’est dire qu’il est la classe du travail productif de plus-value.
Le prolétariat ne peut être révolutionnaire qu’en se reconnaissant en tant que classe, il se reconnaît ainsi dans chaque conflit et à plus forte raison dans une situation où son existence en tant que classe sera, dans la reproduction du capital, la situation qu’il aura à affronter. C’est sur le contenu de cette « reconnaissance » qu’il ne faut pas se tromper. Se reconnaître comme classe ne sera pas un « retour sur soi » mais une totale extraversion comme auto-reconnaissance en tant que catégorie du mode de production capitaliste. Ce que l’on est comme classe n’est immédiatement que notre rapport au capital. Cette « reconnaissance » sera en fait une connaissance pratique, dans le conflit, non de soi pour soi, mais du capital.
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L’appartenance de classe comme contrainte extérieure
(version courte)
Le rapport d’exploitation est la définition du prolétariat comme classe. C’est un rapport d’implication réciproque dans lequel chaque terme (travail et capital) a dans l’autre sa nécessité, sa raison d’être. Cependant la relation n’est pas symétrique : le capital subsume le travail. C’est là que les choses se compliquent.
Pour le prolétariat, sa définition et la nécessité de sa reproduction sont quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est-à-dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Pour le mode de production capitaliste, il est constamment nécessaire et toujours de trop Nous trouvons là la baisse tendancielle du taux de profit comme contradiction entre le prolétariat et le capital, contradiction entre des classes.
Le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est un pôle nécessaire. Sa propre définition et existence comme classe sont constamment, dans le rapport au capital, pour elles-même une contradiction. C’est de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, c’est-à-dire de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer, en tant que pratique du prolétariat dans la lutte des classes, comme extranéisation de l’appartenance de classe.
Dans ce cycle de luttes, agir en tant que classe est devenu dans l’activité même du prolétariat en tant que classe, la limite de cette activité. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est cette structure de la contradiction dans laquelle agir en tant que classe est la limite même de l’activité du prolétariat devenue enjeu de la lutte de classe. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et devienne l’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiciton actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.
Si le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles, il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société. C’est parce que le prolétariat est non-capital, parce qu’il est la dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété) dans ces conditions et non face à elles, que la contradiciton qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Comme non-capital, le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital. Ces mesures sont la réalité même de la production, dans la lutte contre le capital, de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure.
Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles. Produire l’apprtenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société au moment où il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital de retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou autochangement. Ce sont ce retournement et sa théorie qui sont, au présent, la possibilité de la révolution comme communisation.
La restructuration du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital signifie que fondamentalement le cycle de luttes actuel se définit par le fait que la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective, ce qui signifie que, dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat trouve et affronte sa propre constitution et existence comme classe. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Parce que la perspective de la révolution n’est plus de l’ordre de l’affirmation de la classe, elle ne peut plus être de l’ordre de l’auto-organisation.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Ce conflit, cet écart dans l’action du prolétariat est le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. Des luttes quotidiennes à la révolution il ne peut y avoir que rupture. Mais cette rupture s’annonce dans le cours quotidien de la lutte de classe chaque fois que dans celles-ci l’appartenance de classe apparaît comme une contrainte extérieure objectivée dans la capital dans le cours même, pour le prolétariat, de son activité en tant que classe.
L’action en tant que classe creuse un écart à l’intérieur d’elle-même par des pratiques qui extériorisent leur propre existence de pratiques de classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital. On ne peut plus rien faire en tant qu’ouvrier en le demeurant.
Cet affrontement du prolétariat à sa propre constitution en classe est maintenant le contenu de la lutte de classe et l’enjeu de celle-ci est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe et de toutes les classes. C’est par là que nous pouvons parler actuellement du communisme et en parler au présent.
Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir / abolir.
L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification du prolétariat qui ne sera pas différente de celle de l’humanité, c’est-à-dire de sa création comme l’ensemble des relations que les individus établissent entre eux dans leur singularité.
[1] La critique de l’objectivisme (TC 15) ; la précision du concept de communisation (TC 16) ; la définition et critique du démocratisme radical et du Mouvement d’action directe (TC 17 et TC 18), l’analyse de la restructuration (TC 19 et TC 22) ; la révolution et le commuisme comme production historique (TC 16, TC 19 et TC 21)
[2] Pour des analyses particulières on peut se reporter au chapitre de « Le moment actuel » qui y est consacré.


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