Κάλεσμα

Προβολή κειμένου

Théorie Communiste

"Théorie Communiste"

 

 

Le problème fondamental auquel toute production théorique doit se ramener,  qu'elle doit  affronter et  chercher à résoudre  est le suivant :  comment  le prolétariat, agissant  strictement en tant que classe  de ce mode de  production, dans sa contradiction avec le  capital  à l'intérieur  du  mode  de production  capitaliste, peut-il  abolir  le capital,  donc  les  classes, donc  lui-même, c'est-à-dire produire le communisme?

 

C'est  la  généalogie  de   cette  question  qui  nous  ramène  à l'héritage   des   Gauches  et   principalement   de  la   gauche germano-hollandaise. On  pourrait bien  sûr remonter à  Marx ou à Bakounine dans  sa controverse  avec le précédent,  et à quelques théoriciens anarchistes.  On verra  plus loin pourquoi  la Gauche dite  italienne ne  parvient  pas jusqu'à  la nécessité  de cette question.

 

Le  problème essentiel  auquel  T.C. s'est  confronté depuis  ses débuts en  1975 (auparavant nous faisions  la revue "Intervention Communiste"  --  2  n°  parus  et quelques  bulletins--  et  pour certains,  nous  avions  travaillé à  la  revue  "Les cahiers  du communisme de conseils", revue édité à Marseille entre 68 et 73), est celui  que pose, dans une  perspective qui demeure classiste, la production  du communisme  comme abolition du  capital et donc des classes, dépassement de  toutes les catégories actuelles dans lesquelles l'un  et les autres se  définissent : échange, valeur, Etat,  particularisation  de la  communauté  comme existence  des classes, division  du travail, propriété, salariat, accumulation, forces  productives,  cadre de  l'entreprise,  existence et  donc gestion  de  l'économie.  Le  communisme  n'est  pas  la  gestion ouvrière de ce mode  de production, la prise en charge consciente de  ses   contradictions,  la  poursuite  de   son  programme  de développement   des  forces   productives  qu'il   se  révélerait incapable d'assumer lui-même ; le communisme n'est pas un mode de production, il n'est pas  même une société au sens d'une totalité qui serait  ce dans quoi baignent  les rapports que les individus définiront entre  eux dans leur singularité,  ne considérant rien de ce qui est comme quelque chose à reproduire. Le communisme est ce  que le  prolétariat trouve  en lui  la capacité  de produire, abolissant le capital et lui-même.

 

Si   nous   nous  situons   dans   "l'héritage"   de  la   Gauche germano-hollandaise, il faut cependant  expliquer ce qui est pour nous  la  dynamique  de   cet  "héritage".  Se  situer  dans  cet "héritage" ne  consiste pas  à répéter une  quelconque invariance des positions du K.A.P.D., de l'A.A.U.D, ou des théoriciens comme Gorter, Pannekoek  ou Rühle ; ni même à  effectuer un tri dans un ensemble de positions, l'important c'est le système théorique, la problématique.

 

La révolution  allemande trouve son expression  théorique la plus achevée dans  la production et la  pratique organisationnelle des gauches,  au travers  du foisonnement  même des scissions  et des regroupements. Les gauches expriment d'une part l'achèvement d'un long cycle  de luttes  antérieur (depuis 1871, et  même 1848), et d'autre part l'échec de ce cycle. Cependant, de par le contenu de la lutte de classe  et cela dans sa défaite même, de par la façon dont  les Gauches  explicitèrent  ce contenu  et théorisèrent  sa défaite,  elles  ouvrent  une   nouvelle période ,  une  nouvelle structuration   de   la   lutte   de  classes   pratiquement   et théoriquement.

 

Le cycle de luttes qu'achève la révolution allemande de 1918-1923 est celui de la  révolution et du communisme comme affirmation de la classe  qui s'érige en classe  dominante, instaure une période de  transition,  prend  en  charge le  développement  des  forces productives  et  l'achèvement  historique  des contradictions  du capitalisme. C'est la  "société des producteurs associés" décrite par  Marx dans "Le  Capital", ce  sont les mesures  du "Manifeste communiste" de  1848 ou  de la "Critique du  programme de Gotha". Pour parvenir  à cette "apothéose" du  prolétariat, devenu classe dominante,  les  prémisses de  la  révolution,  et la  révolution elle-même, se  lisent dans la montée en  puissance de la classe à l'intérieur du  mode de production capitaliste  : le renforcement du parti  (dont la notion et l'existence  même sont liées à cette structuration de la lutte  de classe), la pression syndicale, les réformes constitutionnelles  et sociales,  le parlementarisme. En fait, le réformisme, dans  cette perspective où la révolution est affirmation de  la classe,  est intrinsèque au procès  même de la lutte de classe. Il  ne s'agit pas là d'erreurs, de déviances par rapport  à l'orthodoxie.  Que le  prolétariat pose  la révolution comme son  affirmation, son  érection en classe  dominante, et la généralisation de  sa condition à l'ensemble  de la société ; que sa  montée en  puissance  à l'intérieur  même du  mode production existant soit la voie  royale de cette affirmation ; que celle-ci se confonde  même avec  le propre renforcement du  capital : tout cela  tient à la  façon même  dont se structure  la contradiction entre  les  classes,  dans  cette  phase historique  du  mode  de production   capitaliste  que   nous  qualifions,   reprenant  la pèriodisation de Marx, de subsomption formelle du travail sous le capital.

 

Dans cette phase, le  capital, dit rapidement, est une contrainte extérieure  dont le  prolétariat  peut se  libérer, il  s'agit de libérer  le travail  qui peut  apparaître alors  comme réellement différent du  travail salarié,  c'est-à-dire comme le  rapport du travail salarié  à lui-même dans la mesure  où ce dernier se pose comme pouvant être libéré.  Mais par là même, c'est la révolution et le communisme qui sont impossibles, non pas parce que de toute éternité  la révolution  ce n'est  pas cela, mais  parce qu'ainsi posée pratiquement dans la  lutte de classes, l'affirmation de la classe,  et   le  procès  qu'elle  nécessite   à  l'intérieur  du capitalisme,  trouvent  dans  la  reproduction  du  capital  leur nécessité,  leur existence,  et leur  limite intrinsèque  dans le développement même  du capital, forme nécessaire  de cette montée en   puissance   de   la   classe   et   de   son   organisation.

 

En effet, à partir  du moment où le passage en subsomption réelle est  largement avancé  (fin XIX°),  l'affirmation autonome  de la classe  entre  en contradiction  avec  sa montée  en puissance  à l'intérieur du capital, en ce que celle-ci est de plus en plus le mouvement  même de  la  reproduction propre  du capital.  En même temps, cette affirmation ne peut que trouver là son fondement, la définition  de  ses objectifs  et   sa raison  d'être . La  crise générale de la social-démocratie, pas seulement allemande, est la manifestation   politique,   sociale  et   théorique,  de   cette dynamique.  La révolution  comme  affirmation fonctionne  sur une dualité  de  termes   se  développant  historiquement  comme  une opposition entre l'affirmation autonome de la classe et sa montée en puissance  dans le mode de  production capitaliste. Les termes de l'opposition,  qui jusqu'en 1871, pouvaient  cohabiter dans le mouvement ouvrier de façon plus ou moins "amicale", ne le peuvent plus.. La  révolution allemande  et donc les  gauches se trouvent prises au  piège de  cette situation :  l'affirmation autonome du prolétariat affronte  ce qu'il est dans  le capital, ce qu'il est devenu, elle  affronte la  propre puissance de la  classe en tant que classe du mode de production capitaliste. La révolution comme affirmation  de  la  classe  affronte  sa  propre  négation   (la contre-révolution lui  est intrinsèquement liée)  dans ce qui est sa  raison d'être .  On a  parlé de  "tragédie" de  la révolution allemande,  l'expression  serait  presque  juste  ;  si  elle  ne sous-entendait pas  une contradiction  interne de la  classe (les deux contraintes  du héros tragique). La  puissance de la classe, comme classe du mode de production capitaliste, est en fait celle du capital sous lequel  est toujours subsumée cette puissance que le  capital  fait réellement  sienne  par  définition, comme  son propre  mouvement. En  période de  subsomption réelle  du travail sous  le  capital, la  montée  en  puissance de  la classe,  dans laquelle le travail se  pose comme essence du capital, se confond avec le développement même  du capital. Elle peut alors, à partir de la  première guerre mondiale, se  poser en gestion du capital, elle  peut  devenir  en  tant que  telle  la  forme  aiguë de  la contre-révolution.  En  reconnaissant  l'échange,  la valeur,  le cadre  de l'entreprise  (la classe  existe toujours  quelque part pour   le  capital),   l'accumulation  selon  les   sections,  la planification, comme contenu de son affirmation, l'affirmation de la classe  pose la  reproduction du capital  comme son présupposé et,   selon   sa  nature   historiquement   définie,  la   propre impossibilité de la révolution. La révolution russe fut le modèle de  cette impossibilité,  de ce  processus, même s'il  fallut des circonstances  particulières  pour   que  ce  soit  le  processus d'affirmation   de   la   classe   qui   s'achève   lui-même   en contre-révolution et  développement du capital  (la définition de la  composition  de  la  classe  capitaliste  n'a  qu'un  intérêt relatif).

 

Après la première  guerre mondiale (pour situer chronologiquement la  rupture),  le passage  du  capital en  subsomption réelle,  à l'issue de la longue dépression de la fin du XIX°s, est largement engagé. La subsomption réelle du travail sous le capital signifie que la reproduction du prolétariat est conflictuellement intégrée dans  le  cycle propre  du  capital  (plus-value relative),  elle signifie  que  l'absorption  du  travail vivant  par  le  capital devient  le  fait  même   du  procès  immédiat,  devenu,  par  le développement  du capital  fixe, adéquat  au concept  de capital, elle  signifie que  l'échange aux  prix de production  anihile la spécificité  du  travail comme  travail  productif  de valeur  au niveau  de  la  reproduction  d'ensemble du  mode  de  production capitaliste,   elle  signifie   que  le  travail   producteur  de plus-value, sous sa forme relative, est totalement spécifié comme travail salarié. L'histoire du mode de production capitaliste est constamment, de  façon essentielle, histoire  de la contradiction entre  le  prolétariat  et  le capital.  Le  passage  du mode  de production à  la subsomption réelle  construit ses déterminations historiques  dans  la  période  de la  vague  révolutionnaire  de l'après  première   guerre  mondiale,   et  il  en   portera  les "stigmates"  comme  particularisation de  la  classe ouvrière  et confirmation d'une  identité ouvrière à l'intérieur  de sa propre reproduction (cf  "Problématiques de la restructuration" T.C.12).

 

D'une part,  la révolution allemande et  son expression théorique dans la Gauche germano-hollandaise, expriment d'une part la lutte contre cette intégration de la reproduction de la classe ouvrière dans le  cycle propre  du capital, c'est  sa critique en  acte de toutes les  médiations de la  montée en puissance de  la classe à l'intérieur  du mode  de  production comme  processus même  de la révolution  :   syndicalisme,  parti  de   masse,  front  commun, parlementarisme.  Certaines fractions  de  la Gauche  en arrivent même  à critiquer  toutes luttes  salariales comme  détournant la classe   de   la  révolution   en   ce   qu'elles  seraient   une "auto-reconnaissance de la classe" dans le système. D'autre part, la  Gauche  fait  du  communisme  la  révélation  de   l'être  du prolétariat  comme  classe  productive,  classe  du  travail,  du travail coopératif  à grande échelle. Plus  rien ne séparerait la classe de ce qu'elle contiendrait immédiatement, en elle-même, le communisme. La forme conseil  est alors la forme naturelle de son activité. Mais alors le  communisme n'est plus que la gestion par le  prolétariat  de  la production  dans  les  catégories qui  le définissent   lui-même    :   propriété   (collective,   sociale, étatique...),  division  du travail,  échange, développement  des forces  productives, existence  d'une  économie comme  domaine de l'objectivation  des rapports  sociaux.  Manifestant, on  ne peut plus,  son  intégration,  et sa  définition  par  le capital,  le prolétariat  ne peut  alors dans  sa lutte  que conflictuellement renforcer son adversaire (le capital est précisément le procès de ce conflit), et reconnaître sa nécessité.

 

La Gauche n'a vu  l'intégration s'effectuant dans le passage à la subsomption  réelle  que  dans les  médiations  de  la montée  en puissance  de  la  classe,  et  a  séparé ces  médiations  de  la définition  du prolétariat  comme  classe du  mode de  production capitaliste.  Le communisme  était  la révélation,  la libération d'un être même de la classe, telle qu'elle existe dans le mode de production  capitaliste, et  telle  que celui-ci  la définit.  La Gauche  italienne  ne parvint  pas  jusqu'à ce  point de  rupture productif d'interrogations et de dépassements. Elle en resta à la critique des médiations non  pour elles-mêmes, non en soi en tant que médiations,  mais de  façon formelle, elle  ne comprenait les formes de ces médiations que comme formes et les critiquait ainsi (parti de masse, front unique, antifascisme...). Elle voulait les médiations  (parti,   syndicats,  période   de  transition,  Etat ouvrier) de  la montée en puissance de la  classe dans le mode de production capitaliste ou de  son affirmation, sans que celles-ci expriment  l'existence  de  la classe  comme  classe  de ce  mode production (cf les débats  de "Bilan" sur le syndicalisme et même sur l'existence du prolétariat).

 

L'approfondissement de  la subsomption réelle  ne pouvait qu'être fatal aux Gauches. Il devenait de plus en plus évident, non comme découverte intellectuelle, mais comme  pratique de la classe dans le  mode   de  production,   que  syndicalisme,  parlementarisme, adhésion  à  la  démocratie  (en  ce qu'elle  est  le  fétichisme nécessaire de cette société,  alliance de classes), défense de sa condition  de travailleur,  organisation en parti,  n'étaient pas des médiations  extérieures à  l'être de la classe,  à ce qu'elle était, par  définition, dans  son implication réciproque  avec le capital.   Affirmer, en  critiquant  toutes  les médiations,  que l'être de la classe porte immédiatement le communisme, ne pouvait pas laisser "intact" cet  être en tant que nature révolutionnaire à libérer.  Il devenait évident, en  critiquant ces médiations et toutes les pratiques appelées "vieux mouvement ouvrier", que l'on ne  faisait que  "montrer"  et se  heurter à  l'  appartenance du prolétariat au mode de  production capitaliste et à sa définition dans celui-ci, tout en persistant à concevoir le communisme comme la  révélation et  la libération  de cet  être. En  demeurant sur l'affirmation de  cet être, on ne  pouvait dépasser une vision de la révolution  comme libération  de la classe, en  même temps que par  la   critique  des   médiations,  on  se   supprimait  toute effectuation  possible  de cette  affirmation.  On conservait  en outre  une perspective  du communisme  comme gestion  ouvrière du capital.

 

Cependant l'histoire de la Gauche germano-hollandaise ne fait pas qu'aboutir à cette impasse,  elle avait, presque contre elle-même (comme  le montre la  propre histoire  de ses scissions  dans les années 20 et 30),  produit les conditions et les armes théoriques de  son  dépassement.  Sa   réflexion  sur  "le  vieux  mouvement ouvrier", son analyse de la révolution russe, et ses critiques de la politique ouvrière,  amenèrent la Gauche germano-hollandaise à penser  que   le  prolétariat   fait  la  révolution,   porte  le communisme, en étant en  contradiction, en détruisant tout ce qui fait son  existence immédiate  dans cette société et  tout ce qui l'exprime.  On  conservait  la  révolution comme  affirmation  de l'être de  la classe en critiquant  toutes les formes d'existence de cet  être. Toujours  dans une perspective  d'affirmation de la classe,  les  Gauches se  trouvaient  dans une  impasse, mais  sa critique de l'existence de la classe était le marche-pied pour en sortir.  Il suffisait  de ne  plus considérer cette  existence en contradiction avec son être.

 

Ce  que  "l'Ultra-gauche"  (terme   apparu  fin  des  années  20, formalisant,  après le  triomphe de la  contre-révolution, toutes les avancées  des Gauches  dans la vague  révolutionnaire) ne put jamais dire c'est que la classe était révolutionnaire en trouvant dans sa  définition de classe du  mode de production capitaliste, la capacité et la  nécessité de se nier en tant que classe contre le capital.  Lorsqu'elle y  parvint dans la  crise de la  fin des années 60, ce fut  son chant du cygne. Ceux qui s'approchèrent le plus  prés  de  cette  vision ne  purent,  dans  la prégnance  de l'identité  ouvrière,   lors  de  cette  première   phase  de  la subsomption réelle, qu'abandonner  la théorie du communisme comme théorie  du  prolétariat  (le  groupe  "L'ouvrier  communiste"  ; certains dans "Bilan", la tendance d'Essen du K.A.P.D, retrouvant les théories  des "Jungen"  sur l'individu ouvrier,  et tous ceux qui abandonnèrent  ne "croyant  plus au prolétariat").  Il fallut attendre les années 60 pour que la question soit à nouveau posée, ce fut  l'apport principal  de "l'Internationale Situationniste", bien  que  dans des  termes  mystificateurs.  Les définitions  du prolétariat et du spectacle  supposent le problème résolu, car en restant au  niveau de  l'individu et de la  marchandise, on avait bien encore l'aliénation  mais pas l'implication réciproque entre le prolétariat et le  capital. Finalement "Invariance" résolut le problème  en jetant  le  bébé avec  l'eau du  bain  : "  Le point d'arrivée a  déjà été indiqué : situer  les limites de la théorie du  prolétariat sur  le plan  historique, c'est-à-dire  mettre en évidence  comment  au cours  des  luttes  révolutionnaires de  ce siècle le prolétariat n'a pas proposé une autre société, un autre mode  de vie ;  comment en  définitive il ne  revendiquait qu'une autre  gestion du  capital (...)  S'imposa alors la  nécessité de délimiter ce qu'elles (les  luttes des années 20) avaient bien pu produire ainsi  que celle de comprendre  pourquoi le mouvement en acte  de  nos jours  ne  parvenait pas  à  aller au  delà de  ses antécédents.  Il apparut  qu'on  ne pouvait  sortir de  l'impasse qu'en abandonnant  la théorie du  prolétariat." (Jacques Camatte, Invariance, série II n°6, p39, 1975).

 

Il apparaissait  au fur et à  mesure de l'approfondissement de la subsomption réelle, qui était la vraie contre-révolution en actes par  rapport  à  la  période du  début  des  années  20, que  les médiations de l'existence de la classe dans le mode de production capitaliste,  loin d'être  extérieures à  cet "être"de  la classe devant  s'affirmer  contre   elles,  n'étaient  que  celui-ci  en mouvement,  que  celui-ci dans  son  implication nécessaire  avec l'autre pôle  de la société, le  capital. L'Ultra-gauche arrivait simultanément, d'une  part à la critique  de toute relation entre l'existence  de la classe dans  le mode de production capitaliste et le communisme, et d'autre part à l'affirmation de l'adéquation du communisme  et de l'être de  la classe, la contradiction était provisoirement  dépassée  par la  compréhension  / limitation  de l'intégration  comme  relevant de  toutes  les médiations  posées entre l'être  de la classe et  le communisme. Pour l'Ultra-gauche il  fallait  combattre et  supprimer  toutes  ces médiations.  Le prolétariat devait se nier  comme classe du capital (acquérir son autonomie) pour réaliser ce qu'il était vraiment et qui dépassait le capital : classe du travail et de son organisation sociale, du développement  des  force  productives.  Mais  la  réalité  têtue imposait de voir que ce qu'il était vraiment était précisément ce qui permettait  aux médiations  d'exister, était dans  un rapport nécessaire avec ces médiations. L'Ultra-gauche nous avait suggéré : "la révolution et le communisme ne sont pas l'affirmation de la classe telle qu'elle est dans le mode de production capitaliste", mais  elle  n'est pas  parvenue  elle-même à  faire porter  cette déclaration sur ce qu'elle considère comme l'être révolutionnaire du  prolétariat, qu'elle  pose  toujours toujours  séparé de  son "existence"  (l'Ultra-gauche fonctionnant  sur cette  dualité qui pouvait  prendre  la  forme  : prolétariat  /  classe  ouvrière).

 

L'Ultra-gauche,  dans  toutes  ses  limites,  nous  avait  amenés jusqu'au point théorique fondamental du communisme comme négation du  prolétariat (ce  qu'il  faut maintenant  encore définir).  Ce n'est qu'après le renouveau  révolutionnaire de la fin des années 60 et  du début  des années 70,  que nous fûmes  obligés de tirer théoriquement les leçons de  tout ce cycle de luttes, entamé dans les années  20, et de le dépasser.  L'expérience de ces années là ne  pouvait plus  laisser  aucune illusion  sur les  perspectives gestionnaires  comme  perspectives  révolutionnaires.  La  Gauche italienne  avait déjà  fait sienne  cette critique, mais  sans la relier,  bien  au  contraire,  à la  négation  de  la classe  par elle-même, si  ce n'est de façon  "clandestine" par rapport à son discours officiel  (cf les  doutes de Bordiga mis  en exergue par Camatte  dans   "Bordiga  et   la  passion  du   communisme",  Ed Spartacus).  Le  cycle  de   luttes  achevé  nous  laissait  deux certitudes  : la  révolution et  le communisme sont  abolition du capitalisme et  par là-même abolition des  classes, de toutes les classes  y  compris  le   prolétariat  (c'était  là,  la  théorie communiste  comme théorie  de la  révolution) ;  la contradiction entre le prolétariat et le capital est le procès même dans lequel se produit  le mode de production  capitaliste, le procès même de son  accumulation comme  mouvement  qualitatif, et  celui de  ses restructurations  (  c'était  là,  la  théorie  communiste  comme théorie de  la contre-révolution). Etait par  là-même éliminée la possibilité  de   chercher  ailleurs  que   dans  les  conditions strictement capitalistes  de cette contradiction,  la capacité du prolétariat  à  produire le  communisme.  On  se retrouvait  donc impitoyablement  confronté à  la  question posée  au début  de ce texte  : "comment  une  classe agissant  strictement en  tant que classe, peut-elle abolir les classes ?".

 

Il  y  eut  alors  deux  types  de réponses  formulées  dans  les conditions  du  début  des  années  70. La  première  consista  à reprendre l'apport  des gauches,  sans le côté  gestionnaire ("Le Mouvement  Communiste"  revue  et livre)  ou  en  le laissant  en suspend,  on ne  se retrouva  qu'avec un catalogue  de "positions révolutionnaires"  ("Bail à  céder") dont  "les révolutionnaires" étaient les garants (L.M.C.4).  Cette démarche se poursuivit plus tard dans des revues  comme "La Banquise" ou "La Guerre Sociale", mais de plus en plus soutendue par une compréhension humaniste du prolétariat,   nettement  présente   avec  "Le   Brise-glace"  et "Mordicus" : libération de  l'activité humaine sous le travail ou sous  les classes,  capital  comme oppression,  prolétariat comme pauvre.  Finalement ne  pouvant  plus maîtriser  la contradiction entre  le   prolétariat  et  le  capital   comme  productrice  du communisme,  la vision  d'ensemble  était celle  d'une opposition entre  tendance au  communisme et  capitalisme. Ce qui  aboutit à comprendre le mouvement de la société comme l'opposition entre la vraie  communauté humaine et  la fausse  : la démocratie  (par où s'articula une dérive révisionniste, cf T.C.13).

 

La  seconde   réponse  consista   à  parler  d'  autonégation  du prolétariat  ("Négation"  ;  "Intervention  Communiste"  "Théorie Communiste"  n°1  ;  "Crise  Communiste").  Nous  étions  encore, paradoxalement,  dans  la problématique  précédente  : on  posait toujours une nature  révolutionnaire du prolétariat. Cette nature révolutionnaire  était   une  contradiction   interne  entre  son appartenance à cette société  et la négation de cette société qui existerait dans  le prolétariat comme "tendance"  en rupture avec cette   appartenance.  L'autonégation  ressuscita   l'essence  de l'homme, on  était encore dans la  scolastique et la téléologie : l'essence,  l'existence,  l'être, les  tendances,  les sens,  les qualités ...On  est alors,  dans cette problématique,  toujours à deux  doigts d'abandonner  une  théorie classiste,  pour basculer dans une  théorie de l'humanité et /  ou de l'individu ("Crise et Communisme" ; "L'unique et son ombre").

 

C'est  à partir  de  là que  nous avons  entrepris un  travail de redéfinition théorique  de la contradiction  entre le prolétariat et  le capital.  Il fallait  dans un  premier temps  redéfinir la contradiction   de   telle   sorte   qu'elle  fut   simultanément contradiction  portant  le  communisme  comme sa  résolution,  et contradiction reproductrice  et dynamique du  capital. Il fallait produire  l'identité  du  prolétariat  comme classe  du  mode  de production   capitaliste  et   classe  révolutionnaire,   ce  qui impliquait  de ne  plus concevoir cette  "révolutionnarité" comme une nature  de la classe se  modulant, disparaissant, renaissant, au grè des circonstances et des conditions.

 

Cette contradiction c'est l'exploitation.

 

1°) Elle  définit les classes en  présence dans un strict rapport d'implication réciproque.

 

2°)  Comme  accumulation elle  pose  la  contradiction entre  les classes immédiatement comme une histoire.

 

3°) Elle définit ses  termes non comme des pôles ayant une nature déterminée se  modifiant dans l'histoire, agissant  par rapport à un mouvement  extérieur de l'accumulation  posée comme conditions de leur action, mais  elle fait du rapport entre les termes et de son mouvement "l'essence" de ses termes..

 

4°)  Elle est,  comme  contradiction entre  le prolétariat  et le capital,  le procès  de  la signification  historique du  mode de production capitaliste ; elle définit le procès de l'accumulation du capital  qualitativement comme  inessentialisation du travail, comme "contradiction en procès"  ; elle définit l'accumulation du capital comme sa nécrologie (cf, Marx, "Fondements de la critique de   l'économie   politique",   Ed   Anthropos,  T.2,   p   222).

 

5°) Elle  fait que le prolétariat  n'est jamais confirmé dans son rapport  au capital  : l'exploitation  est subsomption.  C'est le mode  même  selon  lequel   le  travail  existe  socialement,  la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital.  Défini  par   l'exploitation,  le  prolétariat  est  en contradiction avec l'existence  sociale nécessaire de son travail comme capital, c'est à dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu'en  se  valorisant :   la baisse  du  taux de  profit est  une contradiction   entre   les   classes   .  L'exploitation   comme contradiction désobjective le cours du capital.

 

6°)  Le  prolétariat est  constamment  en  contradiction avec  sa propre définition comme classe:

 

*la nécessité  de sa reproduction est  quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital.

 

*le  prolétariat  ne  trouve   jamais  sa  confirmation  dans  la reproduction  du  rapport social  dont  il est  pourtant un  pôle nécessaire.

 

*le prolétariat  est en  contradiction non pas  avec un mouvement automatique  de reproduction  du  mode de  production capitaliste mais avec une autre  classe, le capital est nécessairement classe capitaliste. Pour  le prolétariat  sa propre existence  de classe passe par une médiation, la classe antagonique.

 

7°) Ne pouvant permettre de définir les classes en dehors de leur implication   réciproque   et  du   cours   historique  de   leur contradiction   (la  contradiction   est  précisément   ce  cours historique), l'exploitation  n'en spécifie pas moins  la place de chacune  des classes  dans cette  implication. C'est  toujours le prolétariat qui est subsumé sous le capital, et le capital doit à l'issue  de  chaque  cycle  reproduire le  face  à  face avec  le travail, l'exploitation s'achève  en effet dans la transformation jamais acquise de la  plus-value en capital additionnel (c'est le capital    comme     procès    de    son    auto-présupposition).

 

Avec  l'exploitation comme  contradiction entre les  classes nous tenions  leur  particularisation  comme  particularisation de  la communauté,  donc  comme  étant  simultanément  leur  implication réciproque. Ce qui signifie que nous tenions : l'impossibilité de l'affirmation du prolétariat ; la contradiction entre prolétariat et  capital  comme  histoire   ;  la  critique  de  toute  nature révolutionnaire  du  prolétariat  comme  une essence  définitoire enfouie    ou    masquée   par    la   reproduction    d'ensemble (l'autoprésupposition  du capital).  Nous  avions  historicisé la contradiction  et  donc la  révolution  et le  communisme et  pas seulement leurs  circonstances. Ce  que sont la  révolution et le communisme se produisent historiquement  à travers les cycles des luttes  qui  scandent   le  développement  de  la  contradiction.

 

Le dernier  point est essentiel, l'échec  du cycle de lutte était donc un  échec historique,  il ne fallait  ni jeter le  bébé avec l'eau du  bain, ni chercher à  refaire la révolution allemande en plus "radical" (moins la gestion). La façon dont la révolution et le communisme s'étaient posés  en subsomption formelle du travail sous le capital, était celle de l'affirmation de la classe ; puis à  partir  des  années  20,  avec  l'ultra-gauche,  celle  de  la décomposition de cette affirmation. Sans oublier tout de même que simultanément, de  façon dominante,  la lutte de  classe de cette période avait pour perspective  de pousser l'intégration au point de  chercher  à  produire  l'abolition de  la  contradiction  qui n'aurait  plus  lieu  d'être  (la social-démocratie,  les  partis communistes). Ce n'est pas  parce qu'il était gestionnaire que le mouvement  dont les  gauches  étaient l'expression  avait échoué, c'est parce  qu'il ne pouvait que  l'être, en ce que  le cycle de luttes était celui de l'affirmation du travail. Ce n'était pas un échec de La Révolution, mais de la révolution telle qu'elle était historiquement.  Il ne  pouvait être  question de procéder  à une sorte  de  tri  entre  les  positions diverses,  c'est  toute  la problématique de la révolution comme affirmation de la classe qui était à dépasser. Que, dans une autre problématique, des éléments théoriques soient  repris et utilisés est  tout à fait différent.

 

On passait d'une perspective où le prolétariat trouve en lui-même face  au  capital  sa capacité  à produire  le communisme,  à une perspective où  cette capacité n'est acquise  que comme mouvement interne de ce qu'elle abolit. Cette capacité se situe par là-même dans un procès historique, elle définit le dépassement du rapport et  non  le triomphe  d'un  de ses  termes  sous la  forme de  sa généralisation.  Avec  l'exploitation  comme  contradiction  nous avions l'identité  entre le  prolétariat comme classe  du mode de production   capitaliste   et   comme   classe   révolutionnaire.

 

Cependant en ce qui  concerne le second terme cela pouvait encore paraître problématique.  Certes l'exploitation ne confirme jamais le prolétariat et le  procès du capital comme contradiction entre les classes  avait été désobjectivé de  telle sorte que le procès historique  du capital  était lutte  de classes  et que  celle ci avait un sens comme "contradiction en procès" (jusque dans la loi de  la  baisse  tendancielle du  taux  de  profit analysée  comme contradiction  entre  le   prolétariat  et  le  capital).  Certes l'exploitation  pose un  rapport dans  lequel le  prolétariat est défini  comme la  négation  de toutes  les conditions  existantes (échange, valeur, classe,  division du travail, propriété...) sur les  bases et  comme développement  de ces  conditions existantes (voir plus  loin). Mais il ne fallait  pas figer cela, ce rapport contradictoire est une histoire,  il n'est pas le mouvement d'une nature révolutionnaire  se mouvant dans  des conditions diverses. Quelle était donc historiquement la structure de la contradiction à l'oeuvre  dans cette  fin des années  70 ? Le  rapport entre le prolétariat  et le  capital  était en  train de  se restructurer.

 

Tout  le  cycle de  luttes  antérieur (de  la restructuration  de l'entre-deux-guerres,  à  la  crise  de  la fin  des  années  60) reposait  d'une   part  sur  l'intégration   de  la  reproduction conflictuelle  du   prolétariat  dans  le  cycle   propre  de  la reproduction  du   capital,  en  cela  il   fut  bien  procès  de décomposition de  la révolution comme affirmation  de la classe ; d'autre  part   sur  la   particularisation  du  prolétariat    à l'intérieur  de  l'autoprésupposition du  capital  ,  en cela  il fonctionnait toujours sur la  base d'un identité ouvrière face au capital.  Ce fut là  la prégnance  de l'identité ouvrière  sur la décomposition   du    programmatisme   ("Problématiques   de   la restructuration" T.C.12)

 

La situation  antérieure de  la lutte de classe,  et le mouvement ouvrier, reposaient, dans cette  première phase de la subsomption réelle  qui s'achève  dans  les années  70, sur  la contradiction entre d'une  part la création et  le développement d'une force de travail mise  en oeuvre par le  capital de façon de  plus en plus collective et sociale, et d'autre part les formes, apparues comme limitées,  de l'appropriation  par le  capital de cette  force de travail dans le procès  de production immédiat, et dans le procès de  reproduction.   Voilà  la  situation   conflictuelle  qui  se développait comme identité  ouvrière, qui trouvait ses marques et ses modalités immédiates de reconnaissance (sa confirmation) dans la  grande usine,  dans  la dichotomie  entre emploi  et chômage, travail et  formation, dans la soumission  du procès de travail à la  collection   des  travailleurs,  dans   les  relations  entre salaires,  croissance et  productivité  à l'intérieur  d'une aire nationale,  dans les  représentations institutionnelles  que tout cela  implique tant  dans l'usine  qu'au niveau  de l'Etat.  Il y avait  bien   auto-présupposition  du  capital,  conformément  au concept de  capital, mais  la contradiction entre  prolétariat et capital ne  pouvait se  situer à ce  niveau, en ce  qu'il y avait production   et  confirmation   à   l'intérieur  même   de  cette auto-présupposition  d'une  identité  ouvrière  par  laquelle  se structurait, comme mouvement ouvrier, la lutte de classe. C'était la situation  de tout  le cycle de  luttes qui s'achève  dans les années 70 et qui se développait à trois niveaux.

 

a  -  une  affirmation  de cette  identité  (partis  communistes, syndicats,    certaines    fractions   social-démocrates),    qui contrairement  à la  situation  en subsomption  formelle ne  peut contenir comme  son développement une perspective révolutionnaire autre qu'un  capitalisme organisé ou keynésien  de gauche -- d'où le  gauchisme   qui  appartient  à  ce   même  niveau  comme  une perpétuelle insatisfaction -- ;

 

b   -   l'auto-organisation,   c'est-à-dire   la   rupture   avec l'intégration de la reproduction et de la défense de la condition prolétarienne à l'intérieur de la reproduction propre du capital. Elle relève  également de  la capacité pour le  prolétariat de se rapporter à lui-même dans  son implication contradictoire avec le capital.  Comme discours  idéologique militant, elle  suppose que l'on  a séparé  d'un côté  l'essence du prolétariat  comme classe exploitée et  révolutionnaire de par l'affirmation  de ce qu'elle est  (le travail,  la production  socialisée...), de  l'autre son existence dans son implication réciproque avec le capital (ce qui est  pourtant  le  mouvement   même  de  la  contradiction  comme exploitation). Cette existence comme classe du mode de production capitaliste  se   réduit  alors  aux   médiations  politiques  et syndicales    (c'est     la    démarche    de    l'Ultra-gauche).

 

c   -  l'auto   négation   :  aboutissement   des  pratiques   et théorisations  précédentes,  puis se  posant  face  à elle  comme devant en résoudre les impasses.

 

Il est  intéressant de  noter que les trois  niveaux se répondent sans cesse et se  déterminent constamment les uns par rapport aux autres  : l'auto  négation  des refuseurs  du travail  contre les auto-organisés,   les   auto-organisés   contre  les   syndicats.

 

La restructuration,  à l'oeuvre  depuis le milieu  des années 70, rend le procès de reproduction d'ensemble de la société adéquat à la  production de  plus-value relative,  en ce qu'il  ne comporte plus  aucun  point de  fixation  dans  le double  moulinet de  la reproduction  d'ensemble  qui  reproduit  et renvoie  sans  cesse prolétariat  et capital  face  à face:  "Le procès  de production capitaliste  reproduit  donc  de  lui-même  la  séparation  entre travailleur et condition du travail. Il reproduit et éternise par cela même  les conditions qui forcent  l'ouvrier à se vendre pour vivre,  et  mettent  le capitaliste  en  état  de l'acheter  pour s'enrichir. Ce n'est plus le hasard qui les place en face l'un de l'autre sur le marché  comme vendeur et acheteur. C'est le double moulinet du procès lui-même,  qui rejette toujours le premier sur le marché comme vendeur  de sa force de travail et transforme son produit toujours en moyen  d'achat pour le second. Le travailleur appartient en fait à  la classe capitaliste, avant de se vendre à un capitaliste  individuel. Sa servitude  économique est moyennée et, en même temps, dissimulée par le renouvellement périodique de cet  acte de  vente,  par la  fiction  du libre  contrat, par  le changement des  maîtres individuels  et par les  oscillations des prix de  marché du  travail. Le procès  de production capitaliste considéré dans  sa continuité, ou comme  reproduction, ne produit donc  pas seulement  marchandise,  ni seulement  plus-value ;  il produit  et  éternise  le  rapport social  entre  capitaliste  et salarié."  (Marx,  "Le  Capital",  Ed  Sociales t  3,  p  19-20).

 

Toutes  les  caractéristiques du  procès  de production  immédiat (coopération,   travail   à   la  chaîne,   production-entretien, travailleur  collectif,   continuité  du  procès  de  production, sous-traitance,  segmentation  de la  force  de travail),  toutes celles de la reproduction (travail, chômage, formation, welfare), toutes celles  qui faisait  de la classe une  détermination de la reproduction du capital  lui-même (bouclage de l'accumulation sur une aire  nationale, inflation  glissante, "partage des  gains de productivité", service public), tout ce qui posait le prolétariat en   interlocuteur   national   socialement   et   politiquement, c'est-à-dire tout  ce qui fondait une  identité ouvrière à partir de laquelle  se jouait  le contrôle sur l'ensemble  de la société comme  gestion et  hégémonie,  toutes ces  caractéristiques, sont laminées  ou bouleversées. Il  s'agit de  tout ce qui  peut faire obstacle au double  moulinet de l'auto-présupposition du capital, à  sa  fluidité. On  trouve  d'une part  toutes les  séparations, protections, spécifications  qui se dressent face  à la baisse de la valeur  de la force  de travail, en ce  qu'elles empêchent que toute la classe ouvrière, mondialement, dans la continuité de son existence,  de sa  reproduction  et de  son élargissement,  doive faire face en tant que telle à tout le capital : c'est le premier moulinet,  celui  de  la reproduction  de  la  force de  travail.

 

On trouve d'autre part  toutes les contraintes de la circulation, de  la rotation,  de  l'accumulation, qui  entravent le  deuxième moulinet, celui de la  transformation du surproduit en plus-value et  capital additionnel.  N'importe quel surproduit  doit pouvoir trouver n'importe où son marché, n'importe quelle plus-value doit pouvoir  trouver  n'importe  où  la  possibilité  d'opérer  comme capital  additionnel, c'est-à-dire  se  transformer en  moyens de production  et force  de  travail, sans  qu'une formalisation  du cycle international  (pays de l'Est,  périphérie) ne prédétermine cette transformation.  La fluidité de chacun  des moulinets n'est mis en oeuvre que dans et par celle de l'autre.

 

Globalement, la  restructuration se définit  comme la dissolution de  tous  les points  de  cristallisation du  double moulinet  de l'auto-présupposition  du capital,  et  cela depuis  tout ce  qui constitue l'identité ouvrière, jusqu'à la séparation entre centre et  périphérie,  la séparation  du  cycle mondial  en deux  aires d'accumulation   et   enfin  au   système   monétaire.  Avec   la restructuration actuelle,  ce sont les deux  bras du moulinet qui deviennent  adéquats à  la production  de plus-value  relative en même   temps  que   le  procès   de  production   immédiat,  leur intersection, qui confère à chacun son énergie et la nécessité de sa métamorphose. C'est en ce sens que la production de plus-value et la reproduction des conditions de cette production coïncident. Tant et  si bien que la contradiction  entre les classes se situe dorénavant au  niveau de leur reproduction  en tant que classes . Ce niveau de la  contradiction comporte : la disparition de toute identité ouvrière  ; l'existence comme classe  du prolétariat est identique à sa contradiction  avec le capital ; le prolétariat ne porte aucun  projet de  réorganisation sociale sur la  base de ce qu'il est.  Ce sont  là les caractéristiques du  nouveau cycle de luttes.

 

Pour le prolétariat, cela  signifie qu'être en contradiction avec le capital, c'est être  en contradiction avec sa propre existence comme  classe  ;  il n'y  a  aucune  contradiction interne,  mais affrontement avec l'autre terme  bien réel et autonome du rapport : le  capital. Au cours de ce cycle de  luttes, la pratique de la classe contre  le capital, dans la  phase à venir de  crise de la reproduction  d'ensemble,  comporte   la  capacité  à  mettre  en question  sa  propre  existence   comme  classe.  C'est  la  même structure de  la contradiction  qui est à l'oeuvre  dans le cours des   luttes  revendicatives   et  qui   trouve  alors   dans  la reproduction du capital sa limite spécifique en même temps que sa radicalité. Produire son appartenance  de classe dans le capital, comme une  contrainte extérieure, et une  contingence, c'est dans la  révolution, dans  la  crise de  l'implication réciproque,  le dépassement du cours  quotidien des luttes revendicatives produit à  partir de  ces luttes  elles-mêmes et  en leur sein.  C'est la perspective  offerte  par  ce  cycle  de luttes,  non  comme  une transcroissance  mais  comme  un  dépassement produit  (cf,  "Des luttes actuelles à la révolution" T.C.13).

 

Pour comprendre la production  du communisme, c'est au contenu de cette remise  en cause par le  prolétariat de sa propre existence comme  classe qu'il  faut s'intéresser.  La classe  trouve alors, dans ce qu'elle est  contre le capital, la capacité de communiser la  société, au  moment où  simultanément, elle traite  sa propre nature  de   classe  comme  extériorisée  dans   le  capital.  La contradiction entre les classes  est devenue la "condition" de sa propre  résolution   comme  immédiateté  sociale  de  l'individu.

 

Le prolétariat, défini dans l'exploitation est la dissolution des conditions existantes  en ce qu'il est  non-capital, il trouve là le  contenu   de  son   action   révolutionnaire  comme   mesures communistes   : abolition  de  la  propriété, de  la division  du travail, de l'échange, de la valeur.

 

C'est parce que le prolétariat dans son rapport contradictoire au capital  est  la dissolution  des  conditions  existantes que  la contradiction qu'est  l'exploitation peut prendre  cette forme de l'appartenance  de  classe comme  contrainte  extérieure dans  le capital.  Cette structure  ultime  de la  contradiction entre  le prolétariat   et  le   capital  n'est   que  ce  contenu   de  la contradiction  (le prolétariat  comme dissolution  des conditions existantes sur  la base des conditions  existantes) en mouvement, ce contenu  comme forme. Cette structuration  de la contradiction n'est  pas  le  cadre dans  lequel  se  manifesterait un  contenu immuable, une nature révolutionnaire de la classe, une définition préexistante. C'est de par ce qui est au coeur de cette situation de  dissolution   des  conditions  existantes   dans  le  rapport contradictoire    au    capital,   c'est-à-dire    de   par    la non-confirmation du prolétariat dans  la contradiction, de par le fait qu'aucun des éléments de sa définition ne soit quelque chose qui  le  confirme dans  ce  rapport, que  la contradiction  entre prolétariat et capital, qu'est l'exploitation, peut se structurer comme extranéisation de l'appartenance de classe. Cette structure de la lutte de  classe est alors en elle-même un contenu, c'est à dire une pratique. Etre  la dissolution des conditions existantes comme classe s'impose  dans l'extranéisation de l'appartenance de classe  comme  quelque chose  à dépasser , en même  temps qu'elle s'impose comme le  présupposé de ce dépassement , qu'elle fournit les axes  de celui-ci  comme pratique, comme  mesures communistes dans la révolution.

 

Le prolétariat est la  dissolution de la propriété sur la base de la propriété.  Comme propriété, c'est son  activité elle-même qui se  dresse face à  lui. Sur la  base de  la propriété, il  est la dissolution  de la  forme autonome  de la  richesse. En  tant que négation de la propriété comme rapport interne à la propriété, le prolétariat  est la  présupposition nécessaire du  dépassement de l'appropriation   sur  le   mode   de  l'avoir,   dissolution  de l'objectivité face  à l'activité  comme subjectivité, dépassement de   la  détermination   contradictoire  de  la   richesse  comme objectivité et subjectivité.

 

Le prolétariat  est la dissolution de la  division du travail sur la base de la division du travail. L'aliénation que représente la division du travail n'est pas en soi dans le fait de fixer chaque individu dans un développement  unilatéral, mais dans le fait que cette  fixation  n'existe qu'en  corrélation  avec l'accession  à l'indépendance du caractère social de l'activité humaine. Dans le mode de production capitaliste  la division du travail parvient à un stade où une classe peut être sa dissolution interne, et comme activité révolutionnaire, la présupposition de son dépassement.

 

En  tant   que  travail   vivant  le  prolétariat   fait  face  à l'enchaînement  du  travail  social  objectivé  dans  le  capital social. Producteur  de plus-value,  le prolétariat se  rapporte à chaque capital  en tant que partie  aliquote du capital total. La capacité du prolétariat à traiter cet enchaînement comme totalité ne  résulte pas  seulement de  ce que  producteur de  valeur, son travail   n'est  par   là  même   attaché  à   aucune  production particulière, mais encore être producteur de valeur cela implique le total  développement de la  division manufacturière. L'extrême division  manufacturière  du   travail  se  rapporte  au  travail concret, mais elle n'existe que parce que ce travail concret doit se prouver comme travail abstrait, que par le double caractère du travail.  Ainsi pour  le prolétariat,  être la dissolution  de la division du travail sur  la base de la division du travail, parce qu'il est  travail vivant producteur de  valeur et de plus-value, le  fonde à  produire  le communisme  parce qu'il  est à  même de traiter l'activité humaine comme  totalité. En outre la relation, dans  le prolétariat,  entre la  division sociale et  la division manufacturière du travail, le  fonde à traiter l'activité humaine comme  totalité  à partir  de  chaque  activité particulière  qui inclut  cette  totalité. Il  ne  s'agit plus  alors de  concevoir l'activité humaine en tant qu'elle est traitée comme totalité, au travers   d'une    réorganisation   de   la   production,   d'une globalisation, d'une  planification, qui à nouveau  ne ferait que définir les  parties comme  des accidents de la  totalité (cf, la division du  travail dans  le mode de production  asiatique ou la communauté  traditionnelle). C'est  là  que gît,  dans ce  double aspect du travail qui  est divisé (double aspect qui se détermine l'un  l'autre dans  la production  capitaliste de la  valeur), la capacité à  produire cette immédiateté  de l'enchaînement général du travail social dans chaque activité concrète, et non comme une globalisation, ou  une résultante de ces  activités. En fait cela signifie  que l'activité  humaine n'a  alors d'autre  but qu'elle même et  son objet, sur  lequel elle s'applique, et  non plus une finalité  externe   (capital,  valeur,  reproduction  de  l'unité supérieure etc...).

 

Le prolétariat  est la dissolution  de l'échange et  de la valeur sur la  base de l'échange et de la valeur.  Dans le système de la valeur, la négation d'elle-même passe nécessairement par sa forme en mouvement : l'échange.

 

Le  premier  aspect par  lequel  le prolétariat  est négation  de l'échange  sur la  base  de l'échange  reposait sur  l'échange du travail vivant  contre du travail objectivé,  échange dans lequel en définitive le capitaliste  ne faisait que remettre à l'ouvrier une partie  de son travail précédemment  objectivé. De là, contre le  capital,  le  prolétariat  trouve,  dans  ce  qu'il  est,  la capacité,   abolissant  le   capital,  de  produire   et  traiter l'activité humaine  comme son propre  processus de renouvellement en dehors de toute autre présupposition.

 

Le  second aspect par  lequel le  prolétariat est la  négation de l'échange  sur la  base de  l'échange repose  sur le fait  que le capital  est  une contradiction  en  procès,  en ce  que pour  se valoriser, il  met en oeuvre du travail  promu au rang de travail social mais qui n'est tel qu'ayant son caractère social objectivé en  face de  lui,  ce n'est  que dans  ce  rapport qu'on  peut le qualifier de travail  directement social. Les caractéristiques de l'accumulation du capital, l'universalisation et la socialisation du travail comme antagonisme au travail lui-même, fondent pour le prolétariat la  capacité, abolissant  le capital, de  produire la situation  dans   laquelle  toute  activité  trouve   sa  fin  en elle-même, en ce qu'elle  est présupposée par l'activité de toute la société et la concentre.

 

Le prolétariat  est donc la négation de  l'échange sur la base de l'échange,  en ce  que l'échange  est l'affirmation  du caractère social de  toute activité  dans l'aliénation, comme  extérieure à elle-même.   Le   processus  de   production  et   d'exploitation capitaliste ne  peut mettre en oeuvre  qu'un travail socialisé en vue  de la  création  de valeur,  c'est là  une  contradiction en procès  qui  dans  le  mode  de production  capitaliste  ,  prend l'existence bien réelle de  l'incapacité pour le travail vivant à valoriser  la masse  croissante du  capital fixe  où s'objective, séparé de lui, son caractère social.

 

Le prolétariat est en tant que classe, la dissolution des classes . Etre la dissolution  des classes n'est pas être autre chose que la dissolution  des conditions existantes, mais  il ne s'agit pas du  même niveau, être  la dissolution  des classes c'est  être la dissolution des conditions existantes comme pratique, comme lutte de classe,  c'est la dissolution des  conditions existantes en ce que comme classe particulière cette dissolution est un sujet, une pratique  révolutionnaire. Le  prolétariat n'est  jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il  est un des pôles. Il ne  peut donc triompher en devenant le pôle absolu de  la société (cf plus haut la révolution russe).

 

Contre le capital, dans l'aspect le plus immédiat de sa pratique, de ce qu'il fait,  le prolétariat ne veut pas rester ce qu'il est ; il  ne s'agit pas là d'une  contradiction interne. Il agit bien en tant que classe: se changer soi même et changer ces conditions coïncident.  On a,  à  ce niveau,  la dissolution  des conditions existantes comme  action d'un  sujet, comme pratique  résumant la dissolution des conditions existantes dans une classe, qui est la dissolution des  classes simplement  parce qu'elle lutte  en tant que  telle. C'est dans  sa contradiction  avec le capital  que le prolétariat   est  une   classe  qui   ne  se   détermine  jamais positivement en elle-même, ce n'est donc que contre le capital et non   en  lui-même   qu'il  est   la  dissolution   des  classes.

 

L'appartenance  de classe  n'est  pas en  soi une  aliénation par rapport  à  un  individu  isolé,  une personne,  qui  devrait  se définir,   ou  non,   comme  socialement  membre   d'une  classe. L'appartenance de  classe, être un individu  particulier, est une aliénation dans la mesure où c'est nécessairement poser la classe antagonique, la séparation d'avec  la communauté, comme sa propre définition d'être de la communauté.

 

Analyser le prolétariat comme dissolution des classes en tant que classe particulière  n'aboutit qu'à comprendre comment abolissant le capital,  le prolétariat trouve dans  ce qu'il est, dans cette contradiction,  la  capacité   à  produire  le  communisme  comme développement de  l'humanité ne considérant rien  de ce qui a été produit comme  limite :  auto-production de l'humanité  ne posant aucun   rapport   social  comme   présupposition  à   reproduire, auto-production  comme manque,  passion, destruction  et création constante,  posant sans  cesse le  devenir comme prémisse.  De la même façon que dans le prolétariat, comme classe particulière qui est la  dissolution des  classes, on avait la  synthèse de toutes les autres dissolutions qu'est le prolétariat (propriété,échange,valeur,   division  du   travail),   dans  son abolition comme  classe, qui est produite  dans la révolution, on retrouve  le  contenu  positif   du  dépassement  de  toutes  les aliénations, qui dans leurs diversités constituent le contenu des mesures  communistes prises  par  le prolétariat  au cours  de la révolution..

 

L'immédiateté    sociale    de    l'individu,    cela    signifie fondamentalement  l'abolition de  la  division de  la société  en classes,  scission par  laquelle  la communauté  est étrangère  à l'individu. On peut alors  approcher positivement ce que sont les individus  immédiatement  sociaux,  ou  plutôt ce  que  sont  les rapports d'individus  immédiatement sociaux dans leur singularité (à ce point des  choses le terme lui-même de "social" est ambigu, il  n'est peut-être  plus nécessaire). Leur  auto-production dans leurs  rapports  réciproques n'implique  jamais une  reproduction dans un  état qui serait une  particularisation de la communauté, ce qui est impliqué  par la division du travail, la propriété, et les  classes.   Les  individus   immédiatement  sociaux  traitent consciemment  tout  objet comme  activité  humaine et  dissolvent l'objectivité en un  flux d'activités (dépassement du prolétariat comme dissolution  de la propriété sur  la base de la propriété); ils  traitent   leur  propre   activité  comme  particularisation concrète de l'activité humaine (d° pour la division du travail) ; ils  considèrent pratiquement  leur  production et  leur produit, dans  leur coïncidence,  comme étant  leur propre  fin en  soi et incluant leurs  déterminations, leurs possibilités d'effectuation et  leurs  finalités  (d°  pour  l'échange  et la  valeur)  ;  et finalement  ils   posent  la  société  comme   étant  à  produire constamment dans  le rapport entre individus,  et chaque relation comme  prémisse  de  sa  transformation (d°  pour  les  classes).

 

Le dépassement des conditions existantes, c'est le dépassement de l'objectivation de  la production.  En cela le  communisme est le dépassement de  toute l'histoire passée, il  n'est pas un nouveau mode de production et  ne peut se poser la question de la gestion de  celle-ci.   C'est  une   rupture  totale  avec   les  notions d'économie,  de forces  productives, de  mesure objectivée  de la production. L'homme  est un  être objectif (qui  se complète avec des objets extérieurs qu'il fait devenir pour lui) ; tout au long de son histoire, la non-coïncidence entre l'activité individuelle et l'activité sociale qui est le fait même de son histoire et qui n'a  ni à  être  prouvée, ni  produite abstraitement,  prenait la forme   chez   cet  être   objectif   de  la   séparation  (   de l'objectivation) de l'acte productif  et de la production, d'avec lui-même,   devenant  le   caractère   social  de   son  activité individuelle. Séparation,  aliénation, objectivation, au cours de l'histoire de la séparation  de l'activité d'avec ses conditions, constituèrent celles-ci en économie, en rapport de production, en mode  de production..  Dissolution  des conditions  existantes du mode  de production  capitaliste,  comme classe,  le prolétariat, sans se figurer que toute l'histoire passée n'avait comme but que de  parvenir  à cette  situation  est la  présupposition dans  sa contradiction  avec  le capital  du  dépassement  de toute  cette histoire

 

Comment  une  classe  agissant  strictement en  tant  que  classe peut-elle abolir  les classes ? L'histoire  du mode de production capitaliste  comme  contradiction  entre  le  prolétariat  et  le capital  nous donne  la résolution  de l'énigme.  Mais attention, lorsque du doigt on  trace sur la carte le chemin à parcourir, on n'est pas  pour autant  parvenu au but  ; c'est dans  la lutte de classes  de ce cycle  de luttes  que l'énigme doit  être résolue.

Théorie Communiste : de TC 14 à la théorie de l’écart

 

« Comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? L’histoire du mode de production capitaliste comme contradiction entre le prolétariat et le capital nous donne la résolution de l’énigme. Mais attention, lorsque du doigt on trace sur la carte le chemin à parcourir, on n’est pas pour autant parvenu au but ; c’est dans la lutte de classes de ce cycle de luttes que l’énigme doit être résolue. »

            Ainsi s’achève le texte « Théorie Communiste » rédigé en 1996 et publié fin 1997. Depuis plus de dix ans, le procès de résolution de l’énigme s’est poursuivi et a connu certains rebondissements.

Après tant d’années qui furent celles de la restructuration du mode de production capitaliste, le nouveau cycle de luttes a fait son chemin à travers elle. Dans le texte « Théorie Communiste », fondamentalement le cycle de luttes actuel se définit par le fait que, dans la restructuration du mode de production capitaliste, la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective sans que ce nœud inclut, ou même soit le fait, de l’existence d’une identité ouvrière confirmée dans cette construction, ce qui avait défini la première phase de la subsomption réelle. Ce qui signifie que l’exploitation est une contradiction dans laquelle, simultanément, le prolétariat est amené à se remettre lui-même en cause parce qu’il n’a d’autre existence pour lui-même que les catégories du mode de production capitaliste. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Porter le dépassement immédiat du capital comme abolition de toutes les classes, c’est la dynamique de ce cycle de luttes, mais c’est aussi ce qui fait l’identité de cette dynamique avec sa limite : être une classe, ce n’est qu’être une classe dans le mode de production capitaliste, ne plus avoir dans sa situation aucune affirmation d’un au-delà. « C’est la même structure de la contradiction qui est à l’œuvre  dans le cours des luttes revendicatives et qui trouve alors dans la reproduction du capital sa limite spécifique en même temps que sa radicalité » écrivions nous dans le texte « Théorie Communiste ». Cette identité nous pouvons la constater quotidiennement, c’est-à-dire constater que tant que l’action de la classe demeure en tant que telle, elle ne contient immédiatement rien d’autre que la reproduction des rapports capitalistes. Mais nous pouvons maintenant reconnaître que l’identité (n’exister que dans les catégories du capital / se remettre en cause comme classe) n’est pas une confusion, qu’elle contient aussi la différence comme un écart à l’intérieur d’elle-même et que c’est là, la dynamique de ce cycle de luttes. Cet écart c’est la diversité des déterminations et des pratiques au cours des luttes : il est l’enjeu de ces luttes.

 

La formulation de la théorie de l’écart est un salut à notre vieille amie, cette vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre.

Toutes les caractéristiques de la lutte de classe qui ne nous apparaissaient au cours de celle-ci que dans leur identité immédiate avec leur limite et qui, par là, n’annonçaient le dépassement de la question centrale du communisme (comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle produire l’abolition de toutes les classes ?) qu’à travers ce qui n’était largement qu’une déduction théorique, ont commencé à apparaître pour elles-mêmes. Nous pouvons les reconnaître empiriquement pour ce qu’elles sont et dire « il y a du nouveau ». C’est cette nouveauté que, théoriquement, nous tentons de formaliser avec le concept d’écart. Actuellement la lutte de classe du prolétariat comporte des éléments repérables, des activités qui annoncent son dépassement.

De façon rétrospective, nous pouvons alors considérer le travail théorique accompli[1] entre la publication de « Théorie Communiste » dans TC 14 et la formulation de la théorie de l’écart dans TC 20 comme un cheminement vers cette nouveauté. Dans ce cheminement, la question constamment abordée et remise en chantier soit pour elle-même, soit au travers d’analyses particulières était celle de cette identité entre la limite et la dynamique de ce cycle de lutte : d’une part, agir en tant que classe et n’avoir pour horizon que la reproduction du capital, d’autre part se remettre en cause dans cette action en tant que classe. La théorie de l’écart est l’aboutissement provisoire de ce cheminement avec la notion d’appartenance de classe comme contrainte extérieure

 

Le rapport d’exploitation est la définition du prolétariat comme classe. C’est un rapport d’implication réciproque dans lequel chaque terme (travail et capital) a dans l’autre sa nécessité, sa raison d’être. Cependant la relation n’est pas symétrique : le capital subsume le travail. C’est là que les choses se compliquent.

Pour le prolétariat, sa définition et la nécessité de sa reproduction sont quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est-à-dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Pour le mode de production capitaliste, il est constamment nécessaire et toujours de trop Nous trouvons là la baisse tendancielle du taux de profit comme contradiction entre le prolétariat et le capital, contradiction entre des classes.

Le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est un pôle nécessaire. Sa propre définition et existence comme classe sont constamment, dans le rapport au capital, pour elles-même une contradiction. C’est de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, c’est-à-dire de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer, en tant que pratique du prolétariat dans la lutte des classes, comme extranéisation de l’appartenance de classe.

Dans ce cycle de luttes, agir en tant que classe est devenu dans l’activité même du prolétariat en tant que classe, la limite de cette activité. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est cette structure de la contradiction dans laquelle agir en tant que classe est la limite même de l’activité du prolétariat devenue enjeu de la lutte de classe. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et devienne l’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiciton actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.

Si le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles, il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société. C’est parce que le prolétariat est non-capital, parce qu’il est la dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété) dans ces conditions et non face à elles, que la contradiciton qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Comme non-capital, le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital. Ces mesures sont la réalité même de la production, dans la lutte contre le capital, de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure.

Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles. Produire l’appartenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société au moment où il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital de retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou autochangement. Ce sont ce retournement et sa théorie qui sont, au présent, la possibilité de la révolution comme communisation.

 

La dynamique de ce cycle de luttes n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe.

C’est par cet écart que certaines pratiques créent dans les luttes actuelles, à l’intérieur même de leur limite, que la communisation devient une question actuelle, qu’elle est un problème de maintenant. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de la limite : agir en tant que classe.

Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe. Ce conflit, cet écart, dans l’action de la classe (se reproduire comme classe de ce mode de production / se remettre en cause) existe dans le cours de la plupart des conflits, la défaite est le rétablissement de l’identité.

La rupture, le saut qualitatif, entre le cours quotidien des luttes et la révolution s’annoncent dans le cours quotidien comme la multiplication des écarts dans cette identité. Il ne s’agit pas de considérer les éléments qui constituent cette annonce comme des germes à développer, mais comme ce qui rend invivable cette identité chaque fois que le prolétariat, dans son action, extranéise son existence comme classe comme une contrainte existant dans le capital, face à lui. Entre la constitution de la classe dans sa contradiction avec le capital et sa nécessaire reproduction dans la reproduction de celui-ci existe un écart qui est l’existence de pratiques dans lesquelles le prolétariat, contre le capital, n’accepte plus son existence comme classe de ce mode de production, sa propre existence, sa propre définition sociale. C’est-à-dire, d’une part l’existence de la classe, qui n’est plus qu’une existence pour le capital, telle que toute lutte la formalise dans la reproduction du capital et telle que dans sa lutte le prolétariat ne la reconnaît plus comme sienne et, d’autre part, sa remise en cause, le refus de sa situation, auxquels la poursuite et l’approfondissement de sa contradiction avec le capital entraînent le prolétariat. C’est cet écart qui annonce, dans le cours quotidien des luttes, son dépassement, c’est la raison d’être d’un courant communisateur. Dans chacune de ses luttes, le prolétariat voit son existence comme classe s’objectiver dans la reproduction du capital comme quelque chose qui lui est étranger et que dans sa lutte il est amené à remettre en cause.

Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. « Une seule solution, la révolution » est l’ineptie symétrique à celle de la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette rupture est produite positivement par le déroulement du cycle de luttes qui la précède et on peut dire qu’elle en fait encore partie. Cette rupture s’annonce dans la multiplication des écarts à l’intérieur de la lutte de classe. Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir / abolir[2].

 

Ce cycle de luttes est l’action d’une classe ouvrière recomposée. Il s’agit, dans les aires centrales d’accumulation, de la disparition des grands bastions ouvriers et de la prolétarisation des employés, de la tertiarisation de l’emploi ouvrier (spécialistes de l’entretien, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires, etc. - ce type d’emploi est maintenant majoritaire chez les ouvriers), du travail dans des entreprises ou des sites plus petits, d’une nouvelle division du travail et de la classe ouvrière avec l’externalisation des activités à faible valeur ajoutée (travailleurs jeunes, payés au smic, souvent intérimaires, sans perspective professionnelle), de la généralisation des flux tendus, de la présence de jeunes ouvriers pour qui la scolarisation a rompu le fil des générations et qui rejettent massivement le travail en usine et la condition ouvrière en général, des délocalisations.

Les grandes concentrations ouvrières en Inde ou en Chine s’inscrivent dans cette segmentation mondiale de la force de travail, tant par leur définition mondiale que par leur propre inscription nationale elles ne peuvent être considérées comme une renaissance ailleurs de ce qui a disparu en « occident ». C’est un système social d’existence et de reproduction qui définissait l’identité ouvrière et qui s’exprimait dans le mouvement ouvrier et non la simple existence de caractéristiques matérielles quantitatives.

Le paradoxe de cette nouvelle composition de classe est de faire disparaître la reconnaissance de l’existence de la classe ouvrière au moment même où sa condition s’étend et où cette « disparition » n’est que l’effet de cette nouvelle composition et de sa segmentation. La classe ouvrière est on ne peut plus présente et la lutte des classes l’axe autour duquel tourne l’histoire, mais d’une part elle n’est plus confirmée dans la reproduction du capital et d’autre part, pour le prolétariat sa contradiction avec le capital contient sa propre remise en cause.

L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification du prolétariat qui ne sera pas différente de celle de l’humanité, c’est-à-dire de sa création comme l’ensemble des relations que les individus établissent entre eux dans leur singularité.

Abolir le capital c’est se nier comme travailleur et non s’auto-organiser comme tel, c’est un mouvement d’abolition des entreprises, des usines, du produit, de l’échange (quelque soit sa forme).

 

Synthétiquement, ce cycle de luttes actuel se définit comme une situation où le prolétariat n’existe comme classe que dans son rapport contradictoire au capital qui ne comporte aucune confirmation d’une identité ouvrière ni de « retour sur soi » face au capital, la contradiction avec le capital est pour le prolétariat sa propre remise en cause. Le prolétariat n’en devient pas pour autant un être « purement négatif » sauf si l’on entend par là la critique de toute conception d’une nature révolutionnaire du prolétariat.

            En tant que dissolution des conditions existantes, le prolétariat est défini comme classe dans le capital et dans son rapport avec lui, c’est-à-dire comme classe du travail productif de valeur et plus précisément de plus-value. Ce qui a disparu dans le cycle de luttes actuel, à la suite de la restructuration des années 1970 / 1980, ce n’est pas cette existence objective, c’est la confirmation dans la reproduction du capital d’une identité prolétarienne. Dire que le prolétariat n’existe comme classe que dans et contre le capital, qu’il produit tout son être, toute son organisation, sa réalité et sa constitution comme classe dans le capital et contre lui, c’est dire qu’il est la classe du travail productif de plus-value.

            Le prolétariat ne peut être révolutionnaire qu’en se reconnaissant en tant que classe, il se reconnaît ainsi dans chaque conflit et à plus forte raison dans une situation où son existence en tant que classe sera, dans la reproduction du capital, la situation qu’il aura à affronter. C’est sur le contenu de cette « reconnaissance » qu’il ne faut pas se tromper. Se reconnaître comme classe ne sera pas un « retour sur soi » mais une totale extraversion comme auto-reconnaissance en tant que catégorie du mode de production capitaliste. Ce que l’on est comme classe n’est immédiatement que notre rapport au capital. Cette « reconnaissance » sera en fait une connaissance pratique, dans le conflit, non de soi pour soi, mais du capital.

 

 

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

 

 

 

 

L’appartenance de classe comme contrainte extérieure

 

 

Le rapport d’exploitation est la définition du prolétariat comme classe. C’est un rapport d’implication réciproque dans lequel chaque terme (travail et capital) a dans l’autre sa nécessité, sa raison d’être. Cependant la relation n’est pas symétrique : le capital subsume le travail. C’est là que les choses se compliquent.

Pour le prolétariat, sa définition et la nécessité de sa reproduction sont quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est-à-dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Pour le mode de production capitaliste, il est constamment nécessaire et toujours de trop Nous trouvons là la baisse tendancielle du taux de profit comme contradiction entre le prolétariat et le capital, contradiction entre des classes.

Le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est un pôle nécessaire. Sa propre définition et existence comme classe sont constamment, dans le rapport au capital, pour elles-même une contradiction. C’est de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, c’est-à-dire de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer, en tant que pratique du prolétariat dans la lutte des classes, comme extranéisation de l’appartenance de classe.

Dans ce cycle de luttes, agir en tant que classe est devenu dans l’activité même du prolétariat en tant que classe, la limite de cette activité. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est cette structure de la contradiction dans laquelle agir en tant que classe est la limite même de l’activité du prolétariat devenue enjeu de la lutte de classe. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et devienne l’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiciton actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.

Si le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles, il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société. C’est parce que le prolétariat est non-capital, parce qu’il est la dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété) dans ces conditions et non face à elles, que la contradiciton qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Comme non-capital, le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital. Ces mesures sont la réalité même de la production, dans la lutte contre le capital, de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure.

Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles. Produire l’apprtenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société au moment où il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital de retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou autochangement. Ce sont ce retournement et sa théorie qui sont, au présent, la possibilité de la révolution comme communisation.

 

C’est dans la restructuration du rapport entre le prolétariat et le capital qui a accompagné la crise de la fin des années 1960 et qui s’achève dans les années 1980 que prend forme le cycle de luttes actuel qui nous permet de parler de la révolution comme communisation.

Le principal résultat du procès de production capitaliste a toujours été le renouvellement du rapport capitaliste entre le travail et ses conditions. Si cela est inclus dans le concept même de capital (il se présuppose lui-même, autrement dit il est un procès d’autoprésupposition), la manière dont, dans les relations entre les classes, dans leurs luttes, et dans les modalités de la valorisation du capital, cette autoprésupposition existe est, quant à elle, par définition historique.

            En subsomption réelle du travail sous le capital, jusqu’à la crise de la fin des années 1960 et la restructuration qui s’ensuivit, la détermination du procès d’autoprésupposition qui caractérisait le cycle de luttes, c’était la production d’une identité ouvrière, confirmée à l’intérieur même de la reproduction du capital.

            Cette identité ouvrière, quelles que soient les formes sociales et politiques de son existence (des Partis communistes à l’autonomie ; de l’Etat socialiste aux Conseils ouvriers),  reposait dans sa totalité sur la contradiction qui se développe alors entre d’une part la création et le développement d’une force de travail mise en oeuvre par le capital de façon de plus en plus collective et sociale, et d’autre part les formes de l’appropriation par le capital, de cette force de travail, dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui dans le cycle de luttes se développe comme identité ouvrière, qui trouve ses marques et ses modalités immédiates d’appréhension dans la « grande usine » ; dans la dichotomie entre emploi et chômage, travail et formation ; dans la soumission du procès de travail à la collection des travailleurs ; dans les relations entre salaires, croissance et productivité à l’intérieur d’une aire nationale ; dans les représentations institutionnelles que tout cela implique tant dans l’usine qu’au niveau de l’Etat ; dans le bouclage de l’accumulation sur une aire nationale. Il y avait bien autoprésupposition du capital, conformément au concept de capital, mais la contradiction entre prolétariat et capital se situait à ce niveau par la production et la confirmation, à l’intérieur même de cette autoprésupposition, d’une identité ouvrière par laquelle se structurait le cycle de luttes.

            L’extraction de plus-value sous son mode relatif, aussi bien au niveau du procès de production immédiat qu’à celui de la reproduction d’ensemble, est le principe de développement et de mutation de la subsomption réelle A ces deux niveaux apparaissent durant la première phase de la subsomption réelle les obstacles à la poursuite de l’accumulation telle que l’extraction de plus-value sous son mode relatif avait elle-même structuré cette accumulation.

Il s’agit de tout ce qui était devenu une entrave à la fluidité de l’auto présupposition du capital. On trouve d’une part toutes les séparations, protections, spécifications qui se dressent face à la baisse de la valeur de la force de travail, en ce qu’elles empêchent que toute la classe ouvrière, mondialement, dans la continuité de son existence, de sa  reproduction et de son élargissement, doive faire face en tant que telle à tout le capital. On trouve d’autre part toutes les contraintes de la circulation, de la rotation, de l’accumulation, qui entravent la transformation du surproduit en plus-value et capital additionnel. N’importe quel surproduit doit pouvoir trouver n’importe où son marché, n’importe quelle plus-value doit pouvoir trouver n’importe où la possibilité d’opérer comme capital additionnel, c’est à dire se transformer en moyens de production et force de travail, sans qu’une formalisation du cycle international (pays de l’Est, périphérie) ne prédétermine cette transformation.

            Globalement, la restructuration des années 1970 / 1980 se définit comme la dissolution de tous les points de cristallisation de l’auto présupposition du capital, et cela depuis tout ce qui constitue l’identité ouvrière, jusqu’à la séparation entre centre et périphérie, la séparation du cycle mondial en deux aires d’accumulation et enfin au système monétaire et financier.           Avec la restructuration achevée dans les années 1980, la production de plus-value et la reproduction des conditions de cette production coïncident. C’est la façon dont étaient architecturées d’une part l’intégration de la reproduction de la force de travail, d’autre part la transformation de la plus-value en capital additionnel et enfin l’accroissement de la plus-value sous son mode relatif dans le procès de production immédiat, qui étaient devenues des entraves à la valorisation sur la base de la plus-value relative.

            Cette non-coïncidence entre production et reproduction était la base de la formation et confirmation dans la reproduction du capital d’une identité ouvrière, elle était l’existence d’un hiatus entre production de plus-value et reproduction du rapport social, hiatus autorisant la concurrence entre deux hégémonies, deux gestions, deux contrôles de la reproduction. Elle était la substance même du mouvement ouvrier.

Dans ses trois déterminations définitoires (procès de travail, intégration de la reproduction de la force de travail, rapports entre les capitaux sur la base de la péréquation du taux de profit) l’extraction de plus-value sous son mode relatif implique la coïncidence entre production et reproduction et corollairement la coalescence entre la constitution et la reproduction du prolétariat comme classe d’une part et d’autre part sa contradiction avec le capital.

            La contradiction entre le prolétariat et le capital a alors pour contenu essentiel son propre renouvellement, d’où l’identité entre la constitution du prolétariat comme classe et sa contradiction avec le capital. Dans sa contradiction avec le capital qui le définit comme classe, le prolétariat se remet lui-même en cause.

 

La restructuration du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital signifie que fondamentalement le cycle de luttes actuel se définit par le fait que la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective, ce qui signifie que, dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat trouve et affronte sa propre constitution et existence comme classe. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Parce que la perspective de la révolution n’est plus de l’ordre de l’affirmation de la classe, elle ne peut plus être de l’ordre de l’auto-organisation.

Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est pour la même raison, être en contradiction avec sa propre  reproduction de classe, la remettre en cause. Ce conflit, cet écart dans l’action du prolétariat est le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. Des luttes quotidiennes à la révolution il ne peut y avoir que rupture. Mais cette rupture s’annonce dans le cours quotidien de la lutte de classe chaque fois que dans celles-ci l’appartenance de classe apparaît comme une contrainte extérieure objectivée dans la capital dans le cours même, pour le prolétariat, de son activité en tant que classe. Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir.

L’action en tant que classe creuse un écart à l’intérieur d’elle-même par des pratiques qui extériorisent leur propre existence de pratiques de classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital. On ne peut plus rien faire en tant qu’ouvrier en le demeurant.
Cet affrontement du prolétariat à sa propre constitution en classe est maintenant le contenu de la lutte de classe et l’enjeu de celle-ci est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe et de toutes les classes. C’est par là que nous pouvons parler actuellement du communisme et en parler au présent.

Nous sommes théoriquement les guetteurs et les promoteurs de ces écarts qui à l’intérieur de la lutte du prolétariat sont sa propre remise en cause et, pratiquement, les acteurs lorsque nous y sommes directement engagés. Nous existons dans cette rupture, dans ce déchirement de l’activité en tant que classe du prolétariat. Il n’y a plus de perspective pour le prolétariat à partir de soi-même comme classe du mode de produciton capitaliste, si ce n’est la capacité de dépasser son existence de classe dans l’abolition du capital. Il existe une identité absolue entre être en contradiction avec le capital et être en contradiction avec sa propre situation et définition comme classe.

C’est par cet écart à l’intérieur même de la limite (agir en tant que classe) que la communisation devient une question actuelle. Ecart que certaines pratiques créent dans les luttes actuelles de par la dualité que contient cette limite : n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe. Cet écart à l’intérieur de la limite c’est la dynamique de ce cycle de luttes. Actuellement la lutte de classe du prolétariat comporte des éléments repérables, des activités qui annoncent son dépassement dans son propre cours.

 

Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. « Une seule solution, la révolution » est l’ineptie symétrique à celle de la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette rupture est produite positivement par le déroulement du cycle de luttes qui la précède et on peut dire qu’elle en fait encore partie. Cette rupture s’annonce dans la multiplication des écarts à l’intérieur de la lutte de classe.

Les luttes revendicatives et les autres (celles qui ne le sont pas) ont des caractéristiques qui étaient impensables il y a une trentaine d’années.

Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir / abolir.

Ce cycle de luttes est l’action d’une classe ouvrière recomposée. Il s’agit, dans les aires centrales d’accumulation, de la disparition des grands bastions ouvriers et de la prolétarisation des employés, de la tertiarisation de l’emploi ouvrier (spécialistes de l’entretien, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires, etc. - ce type d’emploi est maintenant majoritaire chez les ouvriers), du travail dans des entreprises ou des sites plus petits, d’une nouvelle division du travail et de la classe ouvrière avec l’externalisation des activités à faible valeur ajoutée (travailleurs jeunes, payés au smic, souvent intérimaires, sans perspective professionnelle), de la généralisation des flux tendus, de la présence de jeunes ouvriers pour qui la scolarisation a rompu le fil des générations et qui rejettent massivement le travail en usine et la condition ouvrière en général, des délocalisations.

Les grandes concentrations ouvrières en Inde ou en Chine s’inscrivent dans cette segmentation mondiale de la force de travail, tant par leur définition mondiale que par leur propre inscription nationale elles ne peuvent être considérées comme une renaissance ailleurs de ce qui a disparu en « occident ». C’est un système social d’existence et de reproduction qui définissait l’identité ouvrière et qui s’exprimait dans le mouvement ouvrier et non la simple existence de caractéristiques matérielles quantitatives.

Le paradoxe de cette nouvelle composition de classe est de faire disparaître la reconnaissance de l’existence de la classe ouvrière au moment même où sa condition s’étend et où cette « disparition » n’est que l’effet de cette nouvelle composition et de sa segmentation. La classe ouvrière est on ne peut plus présente et la lutte des classes l’axe autour duquel tourne l’histoire, mais d’une part elle n’est plus confirmée dans la reproduction du capital et d’autre part, pour le prolétariat sa contradiction avec le capital contient sa propre remise en cause.

L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification du prolétariat qui ne sera pas différente de celle de l’humanité, c’est-à-dire de sa création comme l’ensemble des relations que les individus établissent entre eux dans leur singularité.

Abolir le capital c’est se nier comme travailleur et non s’auto-organiser comme tel, c’est un mouvement d’abolition des entreprises, des usines, du produit, de l’échange (quelque soit sa forme).

 

Synthétiquement, ce cycle de luttes actuel se définit comme une situation où le prolétariat n’existe comme classe que dans son rapport contradictoire au capital qui ne comporte aucune confirmation d’une identité ouvrière ni de « retour sur soi » face au capital, la contradiction avec le capital est pour le prolétariat sa propre remise en cause. Le prolétariat n’en devient pas pour autant un être « purement négatif » sauf si l’on entend par là la critique de toute conception d’une nature révolutionnaire du prolétariat.

            En tant que dissolution des conditions existantes, le prolétariat est défini comme classe dans le capital et dans son rapport avec lui, c’est-à-dire comme classe du travail productif de valeur et plus précisément de plus-value. Ce qui a disparu dans le cycle de luttes actuel, à la suite de la restructuration des années 1970 / 1980, ce n’est pas cette existence objective, c’est la confirmation dans la reproduction du capital d’une identité prolétarienne. Dire que le prolétariat n’existe comme classe que dans et contre le capital, qu’il produit tout son être, toute son organisation, sa réalité et sa constitution comme classe dans le capital et contre lui, c’est dire qu’il est la classe du travail productif de plus-value.

            Le prolétariat ne peut être révolutionnaire qu’en se reconnaissant en tant que classe, il se reconnaît ainsi dans chaque conflit et à plus forte raison dans une situation où son existence en tant que classe sera, dans la reproduction du capital, la situation qu’il aura à affronter. C’est sur le contenu de cette « reconnaissance » qu’il ne faut pas se tromper. Se reconnaître comme classe ne sera pas un « retour sur soi » mais une totale extraversion comme auto-reconnaissance en tant que catégorie du mode de production capitaliste. Ce que l’on est comme classe n’est immédiatement que notre rapport au capital. Cette « reconnaissance » sera en fait une connaissance pratique, dans le conflit, non de soi pour soi, mais du capital.

 

 

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

 

 

L’appartenance de classe comme contrainte extérieure

(version courte)

 

Le rapport d’exploitation est la définition du prolétariat comme classe. C’est un rapport d’implication réciproque dans lequel chaque terme (travail et capital) a dans l’autre sa nécessité, sa raison d’être. Cependant la relation n’est pas symétrique : le capital subsume le travail. C’est là que les choses se compliquent.

Pour le prolétariat, sa définition et la nécessité de sa reproduction sont quelque chose qu'il trouve face à lui représentée par le capital. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est-à-dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Pour le mode de production capitaliste, il est constamment nécessaire et toujours de trop Nous trouvons là la baisse tendancielle du taux de profit comme contradiction entre le prolétariat et le capital, contradiction entre des classes.

Le prolétariat ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est un pôle nécessaire. Sa propre définition et existence comme classe sont constamment, dans le rapport au capital, pour elles-même une contradiction. C’est de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, c’est-à-dire de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer, en tant que pratique du prolétariat dans la lutte des classes, comme extranéisation de l’appartenance de classe.

Dans ce cycle de luttes, agir en tant que classe est devenu dans l’activité même du prolétariat en tant que classe, la limite de cette activité. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est cette structure de la contradiction dans laquelle agir en tant que classe est la limite même de l’activité du prolétariat devenue enjeu de la lutte de classe. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et devienne l’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiciton actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.

Si le prolétariat n'est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles, il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société. C’est parce que le prolétariat est non-capital, parce qu’il est la dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété) dans ces conditions et non face à elles, que la contradiciton qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Comme non-capital, le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l'échange, de la valeur. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital. Ces mesures sont la réalité même de la production, dans la lutte contre le capital, de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure.

Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles. Produire l’apprtenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société au moment où il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital de retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou autochangement. Ce sont ce retournement et sa théorie qui sont, au présent, la possibilité de la révolution comme communisation.

 

La restructuration du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital signifie que fondamentalement le cycle de luttes actuel se définit par le fait que la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective, ce qui signifie que, dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat trouve et affronte sa propre constitution et existence comme classe. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Parce que la perspective de la révolution n’est plus de l’ordre de l’affirmation de la classe, elle ne peut plus être de l’ordre de l’auto-organisation.

Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est pour la même raison, être en contradiction avec sa propre  reproduction de classe, la remettre en cause. Ce conflit, cet écart dans l’action du prolétariat est le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. Des luttes quotidiennes à la révolution il ne peut y avoir que rupture. Mais cette rupture s’annonce dans le cours quotidien de la lutte de classe chaque fois que dans celles-ci l’appartenance de classe apparaît comme une contrainte extérieure objectivée dans la capital dans le cours même, pour le prolétariat, de son activité en tant que classe.

L’action en tant que classe creuse un écart à l’intérieur d’elle-même par des pratiques qui extériorisent leur propre existence de pratiques de classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital. On ne peut plus rien faire en tant qu’ouvrier en le demeurant.
Cet affrontement du prolétariat à sa propre constitution en classe est maintenant le contenu de la lutte de classe et l’enjeu de celle-ci est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe et de toutes les classes. C’est par là que nous pouvons parler actuellement du communisme et en parler au présent.

Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir / abolir.

L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification du prolétariat qui ne sera pas différente de celle de l’humanité, c’est-à-dire de sa création comme l’ensemble des relations que les individus établissent entre eux dans leur singularité.

 



[1] La critique de l’objectivisme (TC 15) ; la précision du concept de communisation (TC 16) ; la définition et critique du démocratisme radical et du Mouvement d’action directe (TC 17 et TC 18), l’analyse de la restructuration (TC 19 et TC 22) ; la révolution et le commuisme comme production historique (TC 16, TC 19 et TC 21)

[2] Pour des analyses particulières on peut se reporter au chapitre de « Le moment actuel » qui y est consacré.

 

ενότητες

τελευταίες μεταφράσεις

προς μετάφραση

Τα κείμενα με το προς μετάφραση είναι σε διαδικασία μετάφρασης